LA PRÉPARATION
On ne commence pas une marche sans s’y être préparé.
La préparation est pratique, cape de pluie, nourriture… Elle est aussi mentale… On ne se lance pas dans une randonnée, un itinéraire quel qu’il soit sans anticiper le temps qu’il faudra… combien de jours, combien de nuits ! Le temps qu’il fera… froid ou chaleur, pluie ou soleil !
Nous devons nous préparer à redevenir, « les fils et les filles du vent », avançant sans savoir ce que sera demain. Où plonge dans notre mémoire ce secret désir de liberté ? Quelle mémoire nous habite quand nous nous préparons à partir ? « Va, quitte ton pays. Va vers le pays que je te donnerai. » Ou encore « Va vers toi-même. » comme aime à traduire Marie Balmary. La préparation creuse en nous le chemin d’Abraham, l’aventure de la Foi.
Le sac est prêt. Mais lorsque le départ est là… c’est toujours la surprise, l’arrachement, la rupture pour un avenir qui s’ouvre et que l’on ne connaît pas. « Lève-toi et marche… », peu importe ce que tu laisses derrière toi, une seule chose compte, se lever et partir.
UNE FRAGILITÉ ASSUMÉE
Pourquoi tant de marcheurs à l’heure de la grande vitesse et des voitures toujours plus rapides ? Pourquoi ce patient et parfois douloureux effort sous le soleil, à l’heure de la climatisation et des maisons confortables… ? Les marcheurs ne sont qu’un petit pourcentage par rapport à la population totale. Pourtant, ils existent. Ils se croisent sur les chemins ou les sentiers de grande randonnée… Ils acceptent la rusticité des gîtes. Par là, ils savent apprivoiser leur fragilité, l’aimer, dans l’effort et la difficulté.
« Boire avant d’avoir soif, manger avant d’avoir faim, s’arrêter avant d’être fatigué. » me disait un vieux randonneur à l’aube de mes 20 ans et je ne l’ai jamais oublié. La marche fait entrer dans une « humilité paisible ». Elle permet à chacun de se connaître, force et faiblesse, rythme du corps, du souffle. Elle est un puissant exercice de sagesse, de sortie de la « toute puissance » obsédante de notre monde moderne. Elle nous ouvre au « réel » de notre humanité.
« Lève toi et marche… » Le paralysé va retrouver l’usage de ses jambes. Il va jeter au loin ses béquilles. Pourtant, lui aussi devra s’arrêter, se reposer, pour repartir à nouveau… Lui aussi le « guéri » devra faire l’expérience de ses nouvelles limites.
Je me souviens de la lente descente de ma mère… Nous avions tant marché, ensemble, en famille sur les hauteurs du Forez ou dans les bois du Pilat… Je me souviens des « dernières fois »… toujours des marches mais qui se sont réduites peu à peu jusqu’au seuil du grand passage. Il y a eu le dernier « tour de la montagne » accompli avec tant de bonheur puisque c’était encore possible… Il y a eu le dernier aller-retour au hameau voisin, formidable victoire de courage… Il y a eu, ensuite, ces promenades dans le jardin des Petites Sœurs des pauvres, de vrais départs en randonnée ! Puis ce fut le fauteuil roulant… permettant de prendre l’air, de toucher la neige, de ne pas être enfermée. Pour elle, marcher c’était « vivre », ressentir la vie en soi, pour pouvoir la partager et la donner.
À terme la fragilité nous vaincra, mais l’essentiel n’est pas dans la faiblesse. Elle est, plutôt, dans cette énergie qui continue à nous faire avancer, même s’il ne s’agit que de quelques pas dans une chambre de malade. Quel combat pour repousser les frontières et tenir, dans l’effort, au cœur de nos fragilités ! On le voit bien, c’est l’Esprit qui fait avancer. Il donne à nos marches, à longueur de jour, saveur d’éternité.
LA PRIÈRE EN MARCHE
Les pèlerins le savent, c’est le chemin qui importe, c’est lui qui transforme et prépare à la rencontre. Le « but », quand on l’atteint peut être décevant. Sur le chemin de St Jacques, beaucoup, arrivés au but désiré, ont hâte de retrouver la simplicité du chemin, et la présence de Celui qui fait toujours route avec nous.
La marche nous fait entrer en nous-mêmes surtout quand elle est longue et qu’elle nous dépouille de nos suffisances et de nos lourdeurs. La prière vient aux lèvres avec le rythme des pas, avec le corps qui respire et qui souffre. L’être s’unifie et s’accueille en mouvement. Prier en marchant ravive les blessures, les manques, creuse le désir et le sens, dans la simplicité et la pauvreté du chemin.
La prière « en marche » est une expérience forte et décisive dans l’aventure spirituelle. Certains n’y consentent pas. Le mouvement oblige à sortir des « fermetures » et des étroitesses, le corps avance mais c’est tout l’être qui s’unifie et entre en communion avec l’essentiel. La prière « en marche » crée en moi une unité irréalisable sans ce passage par le corps, le rythme. Il y aura les « mots », les « Je vous salue Marie… » répétés inlassablement, et cette lente paix qui s’installe parce que ce chemin, devient chemin de Foi et de lumière.
JÉSUS EST LE CHEMIN
Le savait-il le paralysé ? Celui qui lui avait dit « Lève toi et marche… », celui qui lui redonnait la joie de gambader et de marcher était plus qu’un guérisseur. Sa Parole était d’une autre intensité. Il devenait pour lui, la source même de la Vie. Lorsque nous marchons, nous pouvons nous interroger : sur quelle Parole nous mettons-nous en route ?
Nous ne savons pas le terme et il importe peu au fond. Par contre nous avons à mieux saisir la « source » de cette liberté secrète et jamais enchaînée.
Tous les témoins de l’Évangile ont été des marcheurs. Pierre et Paul… mais aussi tous les autres. Marcellin Champagnat a traversé le Pilat de long en large, réconfortant ses Frères apportant à tous sa présence et son soutien aux enfants, aux humbles.
Combien aujourd’hui, nous avons à donner du sens à nos marches. Avec Jésus, au fond, nous marchons pour vivre une humanité réconciliée avec la nature, avec son histoire. Nous marchons pour nous souvenir et faire mémoire, mais surtout pour ouvrir l’avenir à la présence de Dieu dans notre monde et notre société. Marcher, c’est croire en cet avenir !
Père Louis TRONCHON,
(Prêtre du diocèse de Saint-Etienne)
(paru dans Présence Mariste N° 257, octobre 2008)