1979 : Année Bernadette

L’année 1979 sera l’année Bernadette, le centenaire de la sainte, qui est morte le 16 avril 1879, à Nevers. (article de fr Gabriel MICHEL, « Présence Mariste » n°139, avril 1979)

L’année 1979 sera l’année Bernadette, le centenaire de la sainte, qui est morte le 16 avril 1879, à Nevers.

Cette occasion permettra sans doute quelques mises au point, toujours utiles dans un monde où l’on craint tellement d’être trop crédule… que l’on est prêt à toutes les crédulités.

Quelqu’un dit un jour :
« La source miraculeuse de Lourdes est tarie depuis longtemps ; les tuyaux de la fontaine sont reliés à l’aqueduc de la ville » :
un autre l’écrit, et voilà des milliers de girouettes prêtes à mettre en doute les miracles de Lourdes. Qu’est-ce que cela leur fait, même s’ils sont prêtres ou religieux ? Ils ont bien déjà bradé les miracles de l’Evangile et la virginité de Marie ! Avec leurs arguments imbéciles : moi, j’ai la foi malgré les miracles plutôt qu’à cause d’eux. Le problème est un problème de vérité.

« Lourdes n’a besoin que de vérité » disait Mgr Théas. Ce centenaire de Bernadette pourra permettre de retrouver une vérité tellement simple qu’elle est toujours un défi à tous les préjugés.

« La Sainte Vierge m’a choisie parce que j’étais la plus ignorante ».
Vraiment oui, Bernadette est celle qui est incapable de tricher, d’inventer. Elle doit faire passer un message bien particulier ; il ne s’agit pas qu’elle y mette du sien. Même les bateliers de Tibériade étaient plus doués qu’elle. Que signifient pour elle des termes théologiques comme Immaculée Conception, et qui lui sont dits en patois ? Rien. Elle est obligée de répéter ces mots tout le long du chemin pour ne pas les oublier, car M. le Curé veut savoir le nom de la dame. Et on n’a pas idée d’avoir un nom aussi compliqué.

Bernadette est une sainte très attirante par l’effet de dispositions qui sont à l’opposé de la sophistication.

D’abord elle est « très belle », comme le constate Zola dans son « Journal » de Lourdes. Et cette beauté simple reflète une personnalité aussi peu déformée que possible, par culture quelconque, fût-elle religieuse. Sa mémoire ne retient rien. Elle a péniblement enregistré les prières les plus communes : « Notre Père » et « Je vous salue Marie ». Cependant, l’essentiel humain ne lui a pas manqué. Beaucoup d’enfants d’aujourd’hui sont gavés de « culture » (des milliers d’heures de télévision) mais n’ont presque point reçu d’amour. Les parents Soubirous sont les plus pauvres de Lourdes, mais leur mariage a été un mariage d’amour ; ils sont un vrai couple, ils ont désiré leur enfant, et malgré leur misère ils se gardent un amour simple et sincère, sans ombre ou querelle, même si d’autres parents veulent exploiter leur misère pour les monter l’un contre l’autre.

Bien pourvue dans la ligne de l’essentiel humain, Bernadette l’est aussi dans la ligne de l’essentiel religieux. Elle a sans doute peu de notions, mais elle a reçu l’exemple du respect de Dieu et de la vraie prière.

Sur cette base, fruste mais solide, va pouvoir se greffer la sainteté, une sainteté qui ne sera pas de la facilité (« je ne vous promets pas de vous rendre heureuse en ce monde, mais en l’autre », lui a dit Marie) mais gardera quand même le ton de la simplicité. Il est vrai que les apparitions ne sont pas une chose banale, mais elles s’étalent sur un espace de temps assez court, et une fois cette phase terminée, Bernadette ne pense plus qu’à se cacher.

A partir de l’âge de 22 ans, elle sera religieuse loin de chez elle, à Nevers, un peu agacée par toutes les interviews plus ou moins bien intentionnées, mais capable de comprendre qu’après tout leur métier a du bon et peut faire avancer le règne de Dieu. Et si cela devait lui donner de l’orgueil, voilà qu’une supérieure, comme on en faisait assez à cette époque, se chargera de lui déverser des blâmes continuels.

Bernadette n’est pas la mystique formée par des méthodes hindouistes à l’insensibilité. Non, elle ressent très vivement même les manques d’attention. Encore à Lourdes, et convoquée avec sa mère par le procureur, elle comprend bien que celui-ci n’a pas trop envie de les faire asseoir. Elle refusera donc les sièges : « On les salirait ! ».

LES DERNIERS INSTANTS (16 avril 1879)

Une heure avant sa mort, Sœur Marie-Bernard reçut la visite d’une de ses compagnes qui lui dit :
— Ma Sœur, vous souffrez beaucoup.

Elle lui fit cette réponse :
— Tout cela est bon pour le ciel.
— Je vais demander à notre Mère Immaculée, reprit la compagne, de vous donner des consolations.
— Non, répondit la malade, pas de consolations, mais la force et la patience.

C’est alors qu’elle se souvint de la Bénédiction spéciale que le Souverain Pontife Pie IX lui avait accordée pour le moment de la mort. Elle demanda la feuille qui concédait cette faveur, la voulant tenir, entre ses mains, afin d’en recevoir l’application…

En ce moment, elle essaya de se soulever un peu en appuyant sa main droite sur le bras du fauteuil, éleva ses regards vers le ciel et porta la main gauche à son front ; ses yeux avaient une expression saisissante, et ils restèrent quelques instants comme attachés à un point fixe : les traits de son visage exprimaient le calme, la sérénité et en même temps une certaine gravité mélancolique. Alors, avec un ton de voix indéfinissable, indiquant plutôt la surprise que la douleur, et avec une expression croissante, elle poussa cette triple exclamation :
— Oh ! oh ! oh !

Et il y avait un frémissement dans tout son corps.

Ensuite, elle laissa doucement retomber sa main tremblante sur son cœur, ses yeux s’abaissèrent, et d’une voix bien accentuée elle prononça affectueusement ces paroles :
— Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces.

Mais cette enfant pauvre et fière comprendra et dira dans son langage à elle qu’elle est le balai que l’on met dans un réduit quand on s’en est servi. Pas plus vexée que ne l’était Jean-Baptiste de voir qu’on le délaissait pour aller vers Jésus. Pas un moment elle ne se prend au sérieux.

Pas un instant non plus elle ne cédera à la facilité de recevoir de l’argent qui, souvent lui serait donné par commisération :
« Je veux rester pauvre ».

Parlant des siens :
« Pourvu qu’ils ne s’enrichissent pas ! Dites-leur bien de ne pas s’enrichir ».

L’argent qu’on lui glisse parfois dans ses poches, elle le refuse ou elle le jette :
« Ça me brûle ».

Que le pèlerinage se soit ensuite commercialisé, c’est là sans doute chose inévitable, un de ces fidèles malheurs qui accompagnent les meilleures réalisations humaines. Mais Bernadette, elle, n’a pas cédé. L’idée d’une existence aisée ne l’effleure même pas, car elle est prête à une vie d’épreuves. Elle subira l’épreuve à peu près continuelle de la maladie :
« Toujours à l’infirmerie, toujours bonne à rien,
dit-elle lorsqu’elle se voit immobilisée un peu plus totalement pendant les quatre dernières années de sa vie.

Ce n’est pas à dire qu’elle supporte la souffrance avec stoïcisme. A une époque où les vies de saints parlent volontiers d’aimer la souffrance, elle s’en déclare incapable : devant la souffrance elle a le réflexe de tout le monde. Par nature, elle appartient aux « classes moyennes de la sainteté ». Elle ne se sentirait pas très à l’aise avec les héros d’André Malraux. Mais elle sait se réfugier près du Crucifié et dire :
« Celui-là me suffit ».

Elle se laisse conduire par l’Esprit et cela la mènera très haut : vers la prière, l’oubli de soi et le souci du salut de tous les hommes.

Bernadette est un très bon modèle de sainteté pour notre temps, quelqu’un qui ne veut pas être important, quelqu’un qui remplit coûte que coûte son rôle quand c’est le moment, mais qui n’a pas besoin de se faire une place au soleil et sait disparaître dans l’ombre aussitôt qu’il le faut.

F. G. MICHEL

(Publié dans « Présence Mariste » n°139, avril 1979)

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