Transmettre la foi

« Comment les chrétiens peuvent-ils être attirants aujourd’hui pour nos contemporains ? »

Familles, paroisses, aumôneries, mouvements, souvent avec un sentiment de culpabilité, s’inquiètent de ne plus arriver à transmettre la foi aux nouvelles générations en un moment où s’accélère le dépérissement de la religion, et où l’on parle aussi du retour du religieux.

Sculpture représentant l’apôtre Paul à Athènes

Surgit alors la question : la foi se transmet-elle comme un père transmet ses biens, un enseignant ses connaissances ? Non, sans doute, si l’on comprend la foi comme une conviction, un acte de croire personnel et subjectif, pour s’engager à la suite du Christ et mettre sa confiance en lui. Oui, peut-être, s’il s’agit de la transmission d’une doctrine et d’habitudes chrétiennes reçues des générations précédentes : sacrements, comportements moraux et sociaux. Sur ce terreau favorable, la foi personnelle des descendants pourra éclore, mais ce sera la leur, pas celle de leurs parents, pas le simple résultat d’une transmission. Cependant si l’on n’arrive pas à transmettre le message hérité, s’il n’y a plus de terreau, la foi personnelle pourra-t-elle naître et demeurer ?

COMMUNICATION HORIZONTALE, TRANSMISSION VERTICALE

À l’origine, la foi n’est pas la transmission d’un héritage, mais le résultat de l’annonce de la bonne nouvelle du salut aux foules par la prédication de Jean-Baptiste, de Jésus, des apôtres et de Paul et tout autant par le bouche à oreille. Jean Baptiste désigne Jésus à ses disciples comme l’agneau de Dieu. André dit à son frère Simon-Pierre : « Nous avons trouvé le Messie. » La Samaritaine subjuguée, laisse sa cruche pour dire qu’elle a rencontré le Messie, etc. Illuminés par l’Esprit de Pentecôte, apôtres et disciples partent proclamer la bonne nouvelle de Jésus ressuscité, Christ, sauveur et Seigneur, depuis Jérusalem jusqu’aux extrémités de la terre. Cet accueil de l’Évangile se traduit par la conversion des personnes qui se regroupent en communautés. Quand la génération qui a connu le Christ et les premiers témoins disparaît, on se préoccupe de la transmission du dépôt (1 Tim, 6, 2).

Aperçu de l’ancienne ville de Corinthe, qui reçut la Bonne Nouvelle par Paul

À la communication horizontale par les témoins, se substitue peu à peu la transmission verticale de génération en génération par héritage.

Dans les premiers siècles, on devient chrétien par un acte de conversion, résultat de la prédication et du témoignage de vérité, de piété et d’héroïsme des chrétiens. Sont baptisés les adultes qui affirment leur foi personnelle. Le christianisme se répand parce que les chrétiens sont attirants. Ils proposent un monothéisme purifié des mythologies anciennes. Ils forment des communautés fraternelles, attentives aux souffrances du monde. Dans leur culte, tous peuvent être accueillis : hommes, femmes et enfants, esclaves et hommes libres, riches et pauvres…

LE TEMPS DE LA CHRÉTIENTÉ

Peu à peu les choses évoluent. Constantin se convertit et accorde la liberté religieuse (313), Théodose fait du christianisme la religion de l’État (380). Le baptême des enfants devient la règle.

En Europe, le christianisme est désormais La Religion. Il est impossible de ne pas être chrétien. Les pratiques chrétiennes structurent toute la vie, de la naissance à la mort. L’existence quotidienne et le calendrier sont rythmés par les fêtes religieuses : dimanche, Noël, Pâques, Pentecôte, fête des saints patrons… Tout homme et toute femme qui entrent dans la vie sont intégrés automatiquement dans la communauté chrétienne. La transmission est la règle.

Le baptême des petits enfants : expression de la transmission verticale de la foi de génération en génération par héritage

Sans doute, la foi personnelle suppose toujours une démarche particulière et le témoignage des saints redonne force à cette foi transmise. Cette transmission verticale, presqu’automatique, a pu se maintenir, particulièrement dans certains milieux ruraux, jusqu’au milieu du XXe siècle : messe dominicale, catéchisme des enfants, vocations sacerdotales et religieuses abondantes…

LA TRADITION CONTESTÉE, L’AFFIRMATION DE L’INDIVIDU, LA SÉCULARISATION

Cependant, depuis la Renaissance, la révélation chrétienne est mise en cause. Au XVIIIe siècle, l’esprit des Lumières s’oppose au christianisme négateur de la raison, de la nature et de la liberté.
L’individualisme s’affirme aux dépens de la tradition.
Au nom de la liberté, la Révolution française, dans ses moments de paroxysme, voudrait éliminer les fondements chrétiens de la société. Les contre-offensives de la Restauration du XIXe siècle n’enrayent pas une évolution inéluctable.
Les pouvoirs luttent contre la mainmise de l’Eglise sur les individus, la société et l’éducation : école laïque, lois contre les congrégations, séparation de l’Église et de l’État (1905). Le temps des conflits violents est maintenant terminé mais progresse insensiblement la sécularisation qui signifie l’autonomie des personnes et des institutions par rapport à la sphère religieuse avec, comme conséquence, l’indifférence.
Les cinquante dernières années témoignent d’une accélération du phénomène. Le concile Vatican II prend conscience que l’Église doit intégrer les évolutions de la société : acceptation des droits de l’homme, de la liberté religieuse… La crise de 1968 témoigne du refus des normes héritées et des traditions imposées.

RETROUVER LE SOUFFLE DES ORIGINES

En ce début du XXIe siècle, la transmission verticale de l’héritage semble terminée et la communication horizontale par le témoignage reprend la première place. Certes, on ne peut mettre entre parenthèse l’héritage de vingt siècles sous peine d’un appauvrissement culturel.

La communication horizontale par le témoignage reprend aujourd’hui la première place. (photo du rassemblement de Mendes-Brésil)

Mais le christianisme redevient une religion minoritaire comme aux origines et doit retrouver le souffle des débuts. Les chrétiens, pour transmettre leur foi, n’ont plus que leur force de persuasion. Sans doute plusieurs espèrent répondre aux difficultés de la transmission par une restauration des pratiques traditionnelles : dévotions du XIXe siècle, diverses formes de visibilité identitaire… On ne recommence pas l’histoire. Il semble plus important que les chrétiens réapprennent à communiquer avec le monde dans lequel ils vivent d’une manière nouvelle. Il leur faut trouver un langage accessible, un dialogue où l’autre n’est pas considéré comme un individu à enseigner et à encadrer mais comme un égal de qui l’on peut aussi recevoir. L’argument d’autorité ne convainc plus. Cela suppose l’abandon d’une certaine forme d’Église autoritaire, persuadée d’être seule dépositaire de la vérité en tous les domaines.

Le message de l’Évangile est un message pour l’homme. Le sens de l’homme est une dimension du sens de Dieu. Comment les chrétiens peuvent-ils être attirants aujourd’hui pour nos contemporains au milieu d’un flot de mouvements spirituels, d’idéologies, du culte de la marchandise ? Il faudrait que la radicalité des paroles et des actes de Jésus passe de temps à autre dans l’existence quotidienne et bouscule un peu les pseudo-valeurs de notre monde.

Jean COMBY
Prêtre, ex professeur d’histoire de l’Eglise à la Catho de Lyon
(paru dans Présence Mariste N° 259, avril 2009)

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