un enfant de la terre et des saisons,
il deviendrait berger, comme son père l’a été,
dans le pays de Loire tout là haut." (Théo Mertens)
Tel est le couplet d’un chant en l’honneur de Marcellin Champagnat, écrit par Théo Mertens il y a quelques années. Il va bien pour introduire mon propos au sujet de ce que nous sommes, de ce que nous sommes appelés à devenir comme homme, comme femme. En contemplant le visage et la personne de Marcellin Champagnat, prenant appui sur son histoire nous pouvons réfléchir et nous laisser renvoyer à notre propre histoire pour voir ce que nous devenons et où nous allons.
Dans le contexte de son temps, Marcellin apparaît comme un homme qui a un projet pour lui. Bien sûr, c’est au long de son parcours, des premières années de sa vie. Il y a toute son éducation par l’éveil à la vie, l’éveil de sa conscience vitale. Il a été « élevé » comme on dit, introduit sur un chemin de croissance de sa propre humanité. Dans son milieu familial, il imagine et entreprend ; intéressé par l’élevage et le commerce, il envisage son avenir de paysan. Déjà il sait ce qu’est prendre sur soi sa vie…
Marcellin construit un projet pour sa propre vie, mais il sait aussi que ce projet est pour les autres. Il est homme pragmatique, réaliste ; il deviendra bâtisseur ; chez lui nous connaissons sa grande capacité de relation et de communication ; il est un être pour les autres… C’est un projet d’éducateur d’enfants et de jeunes ; un projet de formateur ; un projet qui vise la croissance de l’homme et de sa responsabilité.
Quand un visiteur lui dit : « Tu seras prêtre, Dieu le veut », il prend sur lui l’appel de Dieu à travers les autres, les médiations, les signes des temps. C’est dire déjà la qualité de la présence de Marcellin au cœur de notre monde et des réalités humaines. Pas de fuite, mais un appel qu’il fait sien et dont il devient responsable désormais. Il assume sa vocation d’homme et s’engage à la réaliser. Homme déterminé, il va mettre son énergie à rassembler des disciples, à les former, à en faire des éducateurs ; il puise cette énergie dans une forte confiance en Dieu et Marie.
Et quelle confiance dans l’avenir ! Quelle confiance dans l’homme !
[rouge]HOMME DE FRATERNITÉ[/rouge]
Dans son milieu familial, Marcellin a appris la fraternité. En ce temps de la révolution, il est entré dès le plus jeune âge dans cette nouvelle vision de fraternité, d’égalité, de liberté. Vivre en frère dans cette nouvelle société entrevue, même dans les premiers moments de fréquentation de l’école ! Comme une fraternité citoyenne. Cette fraternité humaine s’est enrichie de l’Évangile pour devenir une fraternité à l’image du Christ.
Toute la vie engagée de Marcellin, comme homme, comme prêtre va être un déploiement de la fraternité évangélique. Commencer toute chose dans cette optique, rayonner la fraternité.
C’est la rencontre des paysans de La Valla ; la rencontre du jeune Montagne ; la rencontre des premiers disciples pour faire d’eux des FRÈRES pour les autres et entre eux bien sûr. « Rayonner la fraternité dans notre vie, fraternité qui est le résultat de l’unification et de l’intégration de notre être et qui plonge ses racines dans la découverte progressive et aimante de la personne de Jésus. » (Frère Benito)
La fraternité vécue par Marcellin va devenir apostolique, missionnaire. Il va vouloir des Frères, c’est-à-dire des multiplicateurs de fraternité, c’est cela dont le monde a besoin : ce sont des frères et des sœurs en humanité ; ce sont des Communautés qui se forment et qui vivent un témoignage fraternel. Vision positive de l’homme et de sa propre humanité. Il a vu que le cœur de l’homme pouvait être touché par la Parole de Dieu.
[rouge]HOMME DE PAROLE[/rouge]
Marcellin est aussi un homme qui parle. L’enfant, nous le savons est défini comme “enfant” c’est-à-dire celui qui ne parle pas encore ! Marcellin a passé du monde de l’enfance au monde de la parole. Écoutant aussi, partageant avec ses frères et sœurs, parents, amis. Monde de la parole, de la confrontation, du débat mais qui s’ouvre aussi sur la conviction, l’expression du rêve, la recherche de la vérité. Il a parlé de ses difficultés, de ses échecs scolaires. Il a su ouvrir sa vie à la prière, parler à Dieu et lui parler des hommes. Il a appris à parler de Dieu, des autres, de la vie, du monde.
Marcellin, homme de parole parce qu’il a su écouter. Une écoute de lui-même d’abord, une écoute des autres, une écoute de Dieu. Nous le voyons s’arrêter, pour écouter les gens de La Valla. Écoute des personnes, des jeunes, des événements, du monde, des signes des temps à la lumière de l’Évangile. Une écoute qui précède les décisions prises avec audace et ténacité. Nous comprenons alors pourquoi Marcellin a privilégié l’Incarnation dans sa spiritualité. « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ».
La parole prend chair dans l’humanité de Marcellin. Il construit un homme nouveau selon la vision de Dieu, un homme capable d’aimer, de parler, de donner. Une vie humaine entièrement confrontée à la Parole de Dieu. Il a creusé cette parole, il l’a accueillie. Et il l’a tellement faite sienne qu’il a pu dire « que ta volonté soit faite et non la mienne »… Écoute d’un Dieu qui parle à travers tout ce qui lui a été donné. Il est devenu témoin, prophète de notre humanité. "Le Prophète est vu comme une personne en relation intime à la fois avec Dieu et avec les hommes. C’est un homme de prière personnelle et communautaire pour le monde, et il est en même temps engagé vitalement en faveur de ses contemporains avec qui et pour qui il prie et lutte… C’est un homme inséré dans son temps ; c’est l’homme de l’avenir. La façon de vivre de ces hommes qui ont parlé au nom de Dieu, et surtout celle de Jésus, trouvent une réalisation concrète dans la vie religieuse laïque. Nous touchons ici un aspect qui concerne l’identité même du religieux laïc et lui montre un chemin de continuel dépassement. (Frère dans les Instituts Religieux Laïcs, 1991, USG - Ch.4)
[rouge]HOMME D’OUVERTURE[/rouge]
Marcellin a été fondateur d’école, rénovateur d’éducation, avec acharnement. Nous croyons encore aujourd’hui à l’école comme chemin d’humanisation. Est-ce que l’école joue assez son rôle prophétique par rapport à la société. ? Est-ce que les hommes et les femmes engagés dans cette mission sont ces témoins et prophètes attendus ? Notre école apparaît bien souvent engluée dans cette société alors qu’elle devrait être en rupture dans sa vision, dans sa manière de préparer les hommes et les femmes de demain.
Avec Marcellin Champagnat, que l’on puisse dire : j’ai fréquenté l’école… et j’en suis ressorti plus homme, plus femme, prêt, disponible, préparé pour des lendemains meilleurs… Croire ensemble que l’homme est capable d’un itinéraire ouvert sur l’invisible ; toujours penser que l’homme est capable de croissance, et que croissant il fait croître les autres.
Frère Maurice GOUTAGNY
(Publié dans Présence mariste, N° 274, janvier 2013)