Projet Hermitage : vision de l’architecte

L’architecte principal donne son point de vue sur le projet Hermitage (« Présence Mariste » n° 256, juin 2008)

Voici le troisième article pour Présence Mariste sur le Projet Hermitage, l’architecte Joan Puig-Pey a bien voulu accorder un entretien au Frère Antonio Martinez Estaún, reprise par Frère André Thizy.

Joan, vous avez été choisi comme architecte, pourriez-vous vous présenter ?
Je suis Catalan, de Barcelone, âgé de 51 ans, architecte depuis 1983. Je recherche la beauté cachée. Toutefois, une bonne façade s’avère indispensable, et très agréable ! Je suis amoureux de ma profession. Par elle, je sers la société. J’ai connu Champagnat à travers son œuvre et par l’intermédiaire de Frères maristes concrets avec qui j’ai beaucoup partagé. Comme Élie, je devine la présence de Dieu dans la brise légère plutôt que dans l’ouragan. Je vis et partage cette expérience au sein d’une petite communauté.

Quelles sont les caractéristiques du Projet de rénovation de l’Hermitage ?
De 2003 à 2006, une Commission internationale de Frères s’est penchée sur l’avenir des Lieux maristes d’origine. De cette réflexion est sorti un cahier des charges pour l’ensemble de N. D. de l’Hermitage, en établissant des objectifs très concrets, parmi lesquels je soulignerais :

  • Intervenir dans l’ensemble pour obtenir des bâtiments fonctionnels, sûrs et confortables, en accord avec les normes et les critères standard actuels, avec une ligne esthétique élégante et sobre.
  • Récupérer la mémoire historique des lieux. L’Hermitage est un reliquaire. Champagnat en a été le premier architecte. Contempler et comprendre son œuvre nous rapproche de sa personne.
  • Imaginer un “itinéraire Champagnat” au premier étage du bâtiment principal, susceptible d’offrir des espaces de haute qualité spirituelle. Au cœur de la maison : la chambre Champagnat, son bureau, la salle de la première communauté, la grande chapelle où reposent ses restes.
  • Séparer les zones communautaires des espaces destinés aux hôtes tout en les rattachant, pour qu’il y ait des rencontres, des “relations de famille”. Pas de clôture !

    Avec qui réalisez-vous ce projet ?
    J’ai travaillé à mon bureau de Barcelone, où j’ai réalisé, avec mon équipe habituelle, le projet « permis de construire », et à Lyon, où j’ai formé une équipe entièrement française, hautement professionnelle, composée d’architectes, ingénieurs, économistes, techniciens d’organisation et de construction, de sécurité et de santé, de contrôle (Veritas). Les travaux ont commencé au printemps 2008.

    En tant qu’architecte de l’Hermitage, quels aspects souligneriez-vous quant à son environnement ?
    Tout d’abord, son emplacement isolé, avec de magnifiques éléments naturels : une rivière qui traverse la propriété, des pans de rocher, le bois tout proche, l’absence de bruit… Bref, le mythique jardin perdu. Une écologie réelle, terme tellement à la mode.
    Deuxièmement, une composition architecturale très élémentaire des bâtiments les plus anciens. Leurs volumes, excentrés par rapport au vallon, sur la rive droite du Gier. Une disposition asymétrique qui lui confère du dynamisme puisqu’elle l’éloigne des canons classiques de l’agencement.
    Troisièmement, la toile de fond pierreuse, taillée et ciselée : bâtiments encastrés dans le rocher sculpté, qui émergent du sol tels des cristaux minéraux gigantesques.
    Je suis aussi frappé par le silence, à peine brisé par le murmure de l’eau…
    Un environnement adéquat pour faciliter « la rencontre ».

    Que veut dire « habiter l’Hermitage » ?
    Le Frère Seán, Supérieur Général, affirme : « Nous devons retrouver l’esprit de l’Hermitage ». Pour l’architecte que je suis, c’est une demande métaphysique.

    Contempler et comprendre l’œuvre de Marcellin nous rapproche de sa personne

    Dans l’avant-projet, je précisais que le fait de s’approcher de cet environnement avec sensibilité ne permettait guère de rencontrer le premier architecte, l’histoire et l’usage ayant masqué et transformé fortement l’ensemble. Ma réponse métaphysique va dans le sens de jouer avec les espaces, les matériaux et la décoration, afin de redécouvrir dans le bâtiment le courage, l’espérance et la vision du futur de son auteur. « Habiter l’Hermitage », voie d’expérience humaine, spirituelle, spatiale.
    En tant qu’architecte, il me revient de créer des espaces qui facilitent des expériences. On n’a pas envisagé une architecture belle mais vide, sans esprit. On n’a pas pensé à un musée. Toutefois, le projet a quelque chose d’un musée, il comporte de beaux traits ancrés dans l’histoire et des éléments de modernité… Une tension entre histoire et présent qui regarde vers le futur. Un équilibre formel et esthétique toujours difficile.

    Comment vibre votre sensibilité esthétique dans ce lieu historique ?
    Lire l’histoire écrite sur les pierres, sur le bois, produit en moi une profonde émotion. J’entre en harmonie avec mon histoire et ma culture propres. Ce ne sont pas les pierres qui me parlent, c’est mon cœur qui parle. Mes yeux écrivent l’histoire. Les bâtiments historiques ont peu de valeur en eux-mêmes. C’est ma sensibilité éduquée qui reconnaît en eux des traces intelligentes et l’expression artistique de leur auteur. Ce sont des « heureux prétextes » qui me découvrent à moi-même. Par exemple, l’escalier en pierre, à côté de la grande chapelle. Quelle beauté ! Il n’y a que quelques grossières marches de pierre taillée ! Nous sommes en 1835, du vivant de Marcellin ! Pourquoi cet escalier me parle-t-il ? Quelle est ma réponse ? Réhabiliter, dans ce contexte, veut dire, pour l’architecte, affronter avec sensibilité de nouveaux besoins, avec les matériaux et la technique d’aujourd’hui, sans trahir cette voix…

    Marcellin Champagnat serait-il un bon client pour un architecte ?
    Il serait un client exigeant. Il m’indiquerait avec précision mon travail et me demanderait un haut degré d’engagement. Mais en même temps, il serait honnête, humain et très compréhensif.

    Petits cailloux, gros rochers, pierres taillées pour habiter une maison solide

    Du point de vue spirituel, il disait : « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain… »
    La tâche est très dure pour un seul homme. Comme lui, je dois imaginer, calculer, gérer, voyager, évaluer les coûts, administrer l’argent, me battre, écouter, mener des personnes, assumer la responsabilité de la direction et prendre des décisions. Le psaume 127 est pour moi une référence spirituelle délicieuse, essentielle. Il est à côté de moi, sur mon bureau : "Si le Seigneur ne bâtit la maison, c’est en vain que travaillent les architectes."

    Dans les moments de doute comme dans les moments de succès, ces paroles me rassurent et m’humanisent. En tant qu’architectes créateurs, nous avons des stratégies pour travailler sans ostentation, mais nous sommes toujours tentés de nous prendre pour des « dieux ». Je vis mon travail comme une œuvre d’auteur qui porte ma signature, mais je le reconnais comme fruit d’un travail collectif.

    Ma force, ce sont mes collaborateurs. C’est ainsi que j’interprète le psaume. Il me semble que c’était très clair pour Champagnat. Aussi chaque matin, avant de s’attaquer au chantier, le récitait-il avec tous. Élémentaire !

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