L’administrateur du diocèse de Lyon, Mgr Gaston de Pins, tout juste arrivé, l’autorise à entreprendre cette construction et durant l’été 1824, s’élève une vaste maison pouvant recevoir 150 personnes. Lui-même et ses frères participent à la construction. Pour le financement il a reçu l’aide de M. Courveille, inspirateur du projet mariste, et de son réseau de relations laïc et ecclésiastique.
La communauté de Lavalla déménage au printemps 1825. En plus des frères elle comprend trois prêtres : Champagnat, Courveille et Terraillon, car le projet est de créer en ce lieu une branche de prêtres maristes. Mais, frères et prêtres, n’ont pas la même idée de ce que devra être cette société. Pour les prêtres, son origine est dans le projet élaboré au séminaire en 1816 mais pour les frères le commencement est à Lavalla en 1817.
Aussi, quand les frères sont, en octobre, invités à élire un Supérieur ils choisissent M. Champagnat alors que les prêtres avaient prévu l’élection de M. Courveille. Il va en découler une année extrêmement troublée, M. Champagnat tombant gravement malade tandis que MM. Courveille et Terraillon se heurtent à l’opposition des frères.
Finalement ces deux messieurs se retirent et à la Toussaint 1826, Champagnat se retrouve seul prêtre à la tête d’un groupe de près de 80 frères, les uns à l’Hermitage, les autres dans les écoles qui se multiplient. Mais il recevra le renfort de nouveaux jeunes prêtres maristes qui l’assisteront dans l’administration et la formation des frères.
De 1826 à 1829, il achève l’évolution de la simple association laïque à la congrégation. Jusque-là, les frères s’engageaient par une promesse pour cinq ans. Désormais ils commencent à faire les trois vœux religieux classiques. Ils délaissent leur redingote pour se revêtir d’une soutane. Et le Fondateur leur impose une méthode de lecture plus moderne que celle qu’ils pratiquaient. Il ne manque à Champagnat qu’une autorisation civile de son œuvre comme association d’utilité publique. Elle est prête à être signée par le roi quand éclate la Révolution de juillet 1830.
Malgré ce grave revers, l’œuvre est déjà solide et n’aura pas trop à souffrir du profond changement politique. Dans les années 1831-33, il y aura quelques tentatives pour remplacer les écoles de frères par des maîtres laïques pratiquant la méthode mutuelle préconisée par les Libéraux. Mais la loi Guizot de 1833 qui impose à chaque commune de disposer d’une école de garçons et une rémunération d’au moins 200 F. pour les maîtres d’école élargit considérablement le marché de l’éducation à une époque où l’État a encore grand besoin de sociétés d’enseignement privées, qu’elles soient religieuses ou non . En outre Guizot impose une méthode pédagogique officielle dite simultanée-mutuelle qui s’inspire surtout en fait de la méthode simultanée. Les Frères Maristes sont donc bien placés sur le marché de l’éducation populaire et les autorités communales préfèrent en général les frères aux instituteurs laïcs car offrant à la fois compétence et stabilité aux écoles. Les demandes de fondations vont donc affluer à l’Hermitage et Champagnat fait de son mieux pour y répondre.
Mais l’expansion de son œuvre est contrariée par l’absence de reconnaissance officielle que le gouvernement n’est pas décidé à lui accorder malgré de multiples démarches à Paris. Administrativement, ses frères ne sont que des instituteurs laïcs qui doivent être munis d’un brevet pour pouvoir enseigner et être dispensés du tirage au sort quant au service militaire.
Il y a aussi de sérieux problèmes internes : dans le diocèse de Belley se sont constituées sous l’égide de Jean-Claude Colin et de Jeanne-Marie Chavoin une branche de Pères Maristes et une autre de Sœurs Maristes. A la faveur de la Révolution de 1830, qui affaiblit l’autorité des évêques, les Maristes réussissent à s’unifier sous la direction officieuse du P. Colin. Comme les prêtres de l’Hermitage se rallient au P. Colin, ils quittent l’Hermitage et Champagnat se trouve à nouveau presque seul prêtre avec les frères. Il va donc employer les frères les plus capables dans les postes de direction et d’administration, ce qu’il n’avait pas prévu au départ.
Finalement, les Pères Maristes obtiennent de Rome leur reconnaissance canonique en 1836. Ils nomment alors Jean-Claude Colin comme Supérieur de la Société de Marie. Les autres branches, quoique non reconnues, sont désormais considérées comme des annexes de l’œuvre des prêtres, Champagnat devenant lui-même Père Mariste. Mais l’esprit et l’histoire des deux branches est assez différent.
Les multiples épreuves et démarches ont épuisé M. Champagnat. Il s’éteint le 6 juin 1840, réduit peu à peu à l’état de squelette par un cancer de l’estomac. Avant de mourir, il rédige un testament spirituel par lequel il lègue son œuvre à Jean-Claude Colin. Celle-ci comprend alors de 280 à 300 frères répartis à l’Hermitage et enseignant 5 à 6 000 enfants dans une cinquantaine d’écoles.
Institutionnellement, c’est une œuvre encore fragile qui n’a ni statut canonique ni autorisation civile, ni règle religieuse élaborée. Pédagogiquement c’est une association d’enseignement dynamique même si la création d’écoles normales départementales par la loi Guizot sera susceptible à long terme de fournir un personnel laïc massif et tout aussi compétent.
Enfin, M. Champagnat a ancré spirituellement ses disciples dans un esprit de conquête missionnaire. Ils font partie, avec les autres instituts de frères et de sœurs, d’une première forme de militance laïque.