PM 283 D’hier à aujourd’hui

Un Frère Mariste instituteur au milieu du 19e siècle, F. Avit (1819-1892)

PM 283 logo descript

Poursuivons notre rétrospective de quelques moments importants de la Vie de l’Institut qui est en pleine expansion dans les dernières décennies du 19e siècle. Le F. Avit, a lui-même écrit son autobiographie qui donne un vivant aperçu de la condition de Frère enseignant au 19e siècle. (Publié dans Présence Mariste n°283, avril 2015)

André Lanfrey

Henri Bilon, né à Saint-Didier-sur-Chalaronne (Ain) le 11 octobre 1819, devenu le F. Avit, a lui-même écrit son autobiographie qui donne un vivant aperçu de la condition de Frère enseignant au 19e siècle.

Ses parents étaient « peu fortunés, mais honnêtes cultivateurs et bons chrétiens ». Il perd sa mère à l’âge de 6 ans. Sa sœur et lui « n’eurent pas à se louer de la marâtre qui la remplaça ». Suite à une luxation de l’épaule, son bras droit reste faible et le rend impropre aux travaux manuels. Il ira donc longtemps à l’école, de 7 ans à 17 ans, et deviendra le jeune homme « le plus instruit de la commune ». Il apprendra même à lire à son père. Il dresse un portrait pittoresque de ses maîtres avant 1836.

Frère Avit, Henri Bilon, 1819-1892 - Visiteur, 1848-1876 - Assistant Général, 1876-1880 - Annaliste

« Le premier, boiteux, lisait fort mal, ne savait pas écrire et n’avait ni éducation, ni méthode, ni discipline. […] Chez le quatrième on lisait les vieux parchemins, on copiait, on faisait mécaniquement les 4 règles (de l’arithmétique) sans aucune explication. Il était secrétaire de la mairie et les récréations étaient souvent fort longues. Il se servait d’un fouet noueux et tapait toujours sur l’élève le plus proche de lui. […] Le 5e, un ex (Frère) des Écoles Chrétiennes, était capable, édifiant et enseignait bien ».

C’est une situation scolaire assez générale dans les campagnes d’alors : pas de corps enseignant mais des maîtres très instables, de tous niveaux et origines. Deux de leurs fonctions sont particulièrement importantes : l’enseignement du catéchisme sous la direction du curé ; et le secrétariat de mairie fort apprécié par une population largement illettrée.

Soucieux de disposer de maîtres plus stables, le curé Madinier appelle les Frères Maristes en 1836. Et le jeune Henri reconnaît qu’en six mois « il y progressa plus qu’il n’avait fait pendant 10 hivers chez les pédagogues ».

Un brillant instituteur congréganiste

Attiré par l’instruction, et son handicap lui interdisant la vie de paysan, il entre au noviciat des Frères Maristes, prend l’habit et le nom de F. Avit le 13 mai 1838. En octobre 1838, il prononce les trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance pour trois ans et part enseigner dans la petite classe à Pélussin, dans les Monts du Pilat. En 1839-40 il est envoyé à Terrenoire, dans la banlieue de Saint-Étienne, « pour la première classe très nombreuse ».
L’année suivante il est à Viriville (Isère), chargé d’une première classe de 65 élèves et d’une étude d’internes qui l’occupent de 6 h. du matin à 7 h. du soir. Il doit se préparer au brevet pendant les nuits et obtient son diplôme à Grenoble le 9 mars 1840. Dès mai 1840 on lui confie une classe supérieure à Charlieu (Loire). Enfin, le 15 août, il est nommé directeur à Saint-Genest-Malifaux (Loire).

Il reconnaît qu’il était un peu jeune (21 ans) pour exercer cette fonction et se retrouve comme second à Mornant (Rhône) en 1842. Plus énergique que son directeur, il discipline les élèves, s’oppose au curé qui veut régenter l’école, et n’hésite pas à prendre au collet un père de famille qui veut rosser le Frère directeur parce que son fils a été puni.
Nommé directeur à Bougé-Chambalud (Isère) en 1843, il y reste 3 ans, et avoue « qu’il y fit la pluie et le beau temps et y acquit plus de gloriole que de vertu », notamment en formant une quinzaine de chantres qui, à l’église, éblouissent les gens par leurs chants polyphoniques.
En octobre 1846, il fonde l’école de Mondragon (Vaucluse) avec deux frères. Là aussi, il doit se faire respecter du curé, mettre au travail des enfants indisciplinés et se montrer ferme avec les parents.

Logo F Maristes

En septembre 1848, le F. Avit est nommé Visiteur (inspecteur) pour les écoles des Frères Maristes. Il a alors 29 ans et le récit de sa carrière met bien en valeur deux faits contradictoires : une population considérant encore l’enseignant avec condescendance ; mais l’enseignant lui-même, conscient de sa mission éducative, imposant son autorité. Le F. Avit s’attelle donc à sa nouvelle tâche de visiteur qui consiste à courir, souvent à pied, d’une école à l’autre pour vérifier les comptes, voir les autorités, s’assurer de la bonne conduite des Frères…

Un homme déçu et fatigué

F. Avit demande à se reposer en 1855 et on l’envoie diriger le pensionnat de Digoin (Saône-et-Loire). Mais « c’était un remède pire que le mal ». Il y trouve les élèves paresseux, les parents mauvais payeurs, les fournisseurs malhonnêtes, les ecclésiastiques peu sympathiques… Confronté pour la première fois de sa carrière au milieu urbain, il semble dépassé par sa tâche, et déboussolé par l’évolution rapide de la société. Finalement, il reprend sa fonction de Visiteur jusqu’en 1876.

Basilique de Fourvière basilique, telle que l’a connue le F. Avit (début de la construction en 1872).

Élu assistant du Supérieur général et chargé d’organiser la nouvelle province du Bourbonnais (Saône-et-Loire et centre de la France), il démissionne en 1880, laissant une province comptant 67 maisons, 359 Frères ou novices. Retiré à Saint-Genis-Laval après plus de 40 ans d’activité débordante, ne pouvant, quoique presque aveugle, supporter le désœuvrement, le F. Avit, rédige, de 1882 à 91 les Annales des maisons qui donnent un aperçu détaillé de la vie quotidienne de plusieurs centaines d’écoles. Il meurt le 7 février 1892.

Une vie en trois phases

De 1819 à 1838, Henri Bilon a été un jeune homme avide de connaissances en même temps qu’un chrétien fervent qui trouve chez les Frères Maristes un milieu correspondant à ses aspirations.
De 1838 à 1855, il est un véritable et un peu rude militant de l’éducation populaire, puis un remarquable administrateur. Ensuite, quoique toujours très actif, le personnage s’enfonce dans la morosité.
Ses Annales, vaste compilation de documents et de faits, révèlent le côté balzacien de sa personnalité : grâce à un coup d’œil aigu il décrit avec verve toute une comédie humaine de son époque.

Comme bien des Frères de sa génération, il déplorera que l’éducation populaire, dont il a été un éminent représentant, ne conduise pas à une société plus stable, mais à une inquiétante évolution permanente. Les générations suivantes de frères seront plus à l’aise avec le monde moderne mais dans une société qui, tout en estimant davantage la fonction éducative, n’établit plus un rapport évident entre instruction profane et éducation religieuse.

F. André LANFREY
(Publié dans « Présence Mariste » n°283, avril 2015)

Dans la même rubrique…

Mots-clés

Articles liés

Revenir en haut