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Écoles des Frères et Protestantisme

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L’installation d’écoles catholiques là où se trouvent de fortes minorités protestantes apparaît comme une tentative de reconquête et il en découle souvent des conflits scolaires sur lesquels viendra se greffer, quelques décennies plus tard, la querelle école laïque - école « libre ». (Présence Mariste n°294, janvier 2018)

F. André Lanfrey

En s’étendant de la Loire vers le sud, les Frères Maristes ont rencontré de fortes communautés protestantes : une vingtaine dans les Cévennes et le Vivarais (Ardèche et Gard) et une quinzaine en Diois et dans la Drôme provençale.
Dans ces communes, le souvenir des guerres de religion (1562-1629) et de la guerre des Camisards (1702-1704), demeure vivace. À l’occasion de la Révolution, les Protestants ont opté pour la république et les catholiques pour le roi. An nord-est de Nîmes existe une véritable frontière confessionnelle où chaque camp nourrit un complexe d’assiégé.

Tentative de reconquête

Évêques, curés et notables déplorent que les populations catholiques y soient économiquement, socialement et politiquement dominées par les protestants qui, entre autres, bénéficient d’un réseau scolaire performant. Mais l’installation d’écoles catholiques apparaît en ces lieux comme une tentative de reconquête et il en découle souvent des conflits scolaires sur lesquels viendra se greffer, quelques décennies plus tard, la querelle école laïque - école « libre ».
Anduze, véritable place-forte protestante (plus de 4000 protestants et moins de 1000 catholiques), constitue vers 1840 un cas emblématique. Mgr Cart, évêque de Nîmes impose aux Frères Maristes d’y éduquer des catholiques « menacés d’être comme ensevelis par le protestantisme s’ils restent plus longtemps sans instruction, ou s’ils vont la puiser dans des écoles protestantes ». C’est à ses yeux « une espèce d’apostolat parmi les infidèles ». Et sa demande est appuyée par le cardinal de Bonald, natif de la région et archevêque de Lyon, ainsi que le vicomte de Bonald, notable influent.

Classe de l’école de Templeuve - Nord
Photo fms

Deux Frères ouvrent une école en octobre 1843, avec 25 élèves. En dépit de tracasseries communales et de manifestations d’hostilité de mauvais goût, l’école parvient à durer et s’étoffer un peu. En 1853, soutenue par l’administration du début du Second Empire, elle devient même communale, mais n’instruit guère que des enfants de familles pauvres, catholiques et protestantes. Pour attirer une clientèle de meilleur niveau, l’école devient partiellement privée. En 1868, il y a 30 élèves gratuits dans l’unique classe communale et 60 payants dans deux classes libres. Aussi, quand l’école cesse d’être communale en 1882, la situation ne change guère. En fait, la communauté protestante d’Anduze a marginalisé l’établissement et le soutien des populations catholiques a été tiède. Les Annales de 1889 déclarent le clergé sans influence et les autorités civiles « plus hostiles que favorables ».

Lutte d’influence entre protestants et catholiques

À Saint-Hippolyte-du-Fort la majorité protestante est moins nette : 2827 pour 1818 catholiques. En 1847, les Pères Maristes y ont prêché une mission avec succès. D’après les annales des Frères, les ministres protestants « se mirent à singer la mission catholique ». Mais après quelques jours, leurs ouailles les auraient quittés pour aller écouter les missionnaires. Naît alors l’idée de prolonger les résultats de la mission par la fondation d’une école congréganiste. Préparée secrètement, celle-ci a lieu en 1853. Son succès sera mitigé : 70 élèves en moyenne.

Logo F Maristes

Et dès 1866, le conseil municipal veut une fusion des écoles protestante et catholique : en fait une école laïque. Finalement, en 1879 un comité crée une école catholique. En 1889, l’annaliste perçoit clairement qu’au face à face protestant-catholique s’est substitué un clivage politique : l’alliance du protestantisme et des républicains à laquelle participent en partie les populations catholiques.

Ce scénario de passage de la confrontation confessionnelle au face à face laïcité républicaine-catholicisme teinté de royalisme, est signalé en de nombreux endroits. Cependant, dans la plupart des autres localités où les populations protestantes constituent de fortes minorités, les clivages sont moins forts : l’appartenance confessionnelle recouvre des sensibilités plus que des partis. Même à Saint-Hippolyte-du-Fort : « Les protestants sont divisés en sept ou huit sectes. Celle des libéraux se rend seule au temple, lequel est surmonté de deux cloches et possède une forte cloche. Ils ont présentement l’autorité municipale. Ils y sont arrivés en tendant la main aux catholiques, aussi ne les molestent-ils pas. Le maire est même en bons termes avec M. le curé. »

Des intransigeances seulement sur certains points symboliques

Dans ces communes de frontières confessionnelles, l’intransigeance ne demeure que sur certains points, souvent symboliques, tels que l’usage des cloches ou la plantation des croix, vénérées par les catholiques et abhorrées par les protestants. Mais les mariages mixtes ne sont pas rares et les relations sociales et économiques sont constantes. Ainsi, à Vernoux, en Vivarais, une femme protestante vient donner de l’argent aux Frères pour faire dire des messes pour son défunt mari catholique. À Saillans, dans le Diois, un Frère étant décédé subitement, c’est tout la commune qui participe à l’enterrement.

Ecole primaire de garçons - St-Vincent de Reins - Rhône (1962)
Phto FMS

Se considérant comme les missionnaires de la bonne doctrine, les Frères pensent que leur tâche essentielle est de préserver la foi des catholiques sans négliger un certain prosélytisme. Mais le clergé est souvent plus accommodant. Ainsi le curé de la Voulte (Ardèche), M. Pleynet, donne aux Frères le 17 janvier 1848 (avant la révolution de 48) une véritable leçon de théologie pastorale sur la nécessité de ne pas imposer le catéchisme catholique aux enfants protestants :
« …Cela paraît une sévérité toute gratuite, propre uniquement à perpétuer les préventions qu’ont nos Frères séparés sur la prétendue intolérance de la religion catholique…  » Mgr. Guibert, évêque de Viviers, soutenant sa position, les supérieurs des Frères ne peuvent que s’incliner. L’annaliste lui-même, quoique d’esprit fort intransigeant, reconnaît des mérites à des maires protestants ou, plus rarement, à des pasteurs, comme celui de Vallon, opposé à l’école laïque. Et puis, la rivalité confessionnelle favorise la pratique religieuse.

Vers une tolérance pratique

Le temps de l’œcuménisme est encore loin, mais, vers le milieu du XIXe siècle, du côté protestant comme du côté catholique, un esprit de confrontation hérité des époques antérieures s’affaiblit au profit d’une tolérance pratique qui commence à trouver ses fondements théologiques. On passe du politico-religieux à une relative dissociation du politique et du religieux. La laïcité républicaine, mieux reçue des Protestants que des Catholiques, instaurera une neutralité confessionnelle plus théorique que profonde.

F. André Lanfrey
(Publié dans « Présence Mariste » n°294, janvier 2018)

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