Le nombre des baptisés de ce continent est très important. Mais on aurait tort de se rassurer à si bon compte. Là, comme dans d’autres parties du monde, le travail d’évangélisation est immense. Peut-être même est-il permis de parler de véritable « nouvelle évangélisation » commencée au temps de Concile Vatican II.
Rappelons d’abord l’appel lancé en 1957 par le pape Pie XII :
« Que les Eglises d’Europe, riches en foi, riches en prêtres, aient le courage de faire le don de la foi (Fidei donum) à d’autres Eglises, d’établir un partage, une communion entre Eglises. »
En 1961 le pape Jean XXIII a précisé l’appel pour l’Amérique latine. « Là-bas, des pauvres, par millions, veulent devenir des hommes debout ! Des baptisés, par millions, attendent l’Evangile ! Des Eglises crient au secours ! » C’est alors que des laïcs, des religieuses, des religieux, des prêtres sont partis nombreux.
Puis ce fut la décision courageuse du Conseil Episcopal Latino-Américain (CELAM) en sa fameuse assemblée de 1968 à Medellin (Colombie), celle de « l’option préférentielle pour les pauvres ».
Il ne faut pas oublier non plus l’action de certaines personnalités comme Mgr Helder Camara, archevêque de Recife, que certains appellent « l’évêque rouge » de l’Amérique latine. Il devint une voix nationale ; il interpella le gouvernement, les politiciens, les groupes économiques responsables. Il se consacra plus particulièrement aux régions du Nordeste (Brésil). Il a diffusé son message dans les diverses parties du monde, secoué les consciences endormies des nations riches et travaillé à éveiller les masses sous-développées.
On ne peut que se réjouir de ce réveil de l’Eglise dans ce continent où l’attendent encore tant de défis, celui de la prolifération des sectes en particulier ! Le handicap est particulièrement difficile à remonter. Dès le départ en effet : « l’Amérique latine, est une contrée où le christianisme a pris non seulement le visage de l’étranger, mais aussi celui du dominateur. »
Ce qu’on a pu lire récemment dans la revue « Mission de l’Eglise » à propos de l’évangélisation du Peuple Aymara du Pérou peut s’appliquer, sans doute, à bien d’autres populations indigènes d’Amérique.
« La première évangélisation a partie liée avec la conquête.(…) La foi fut imposée. Le Dieu des chrétiens fut pour les indigènes un Dieu de mort, un Dieu qui humiliait et dépersonnalisait. (…) Les clercs qui accompagnèrent les conquérants ne manquaient pas d’être armés et de faire le coup de poing dans les affrontements. Ils avaient aussi leur part du butin. Ils devenaient propriétaires terriens. Ils faisaient fortune d’une façon ou d’une autre. »
Par la suite on « va privilégier la sacramentalisation sur l’évangélisation. La priorité sera donnée au baptême, mariage et à la confession. Le baptême permettait de faire les relevés pour les impôts et la main-d’œuvre gratuite. »
« La conquête est devenue le symbole de l’exploitation, de l’esclavage, de la destruction, de l’injustice, de l’humiliation. »
(Mission de l’Eglise N°141, déc. 2003, François Donnat, Casilla 13335 LA PAZ, Bolivie)
Un chrétien du XXe siècle ne lit pas ces lignes sans ressentir une certaine souffrance. Il sait aussi qu’il y eut des hommes de cet époque-là qui crièrent au scandale et surent se battre pour faire changer les choses. Le personnage de Bartolomeo de Las Casas, assez connu, est exemplaire à ce sujet.
Homme de son temps il ne vit pas tout de suite l’injustice du système sur lequel reposait l’économie de ces terres nouvelles et resta insensible aux efforts des religieux dominicains, qui, depuis 1510, dénonçaient avec véhémence les excès de ceux qui profitaient de ce système. Jusqu’au jour où il se convertit et prit conscience que « tout ce qui se commettait aux Indes vis-à-vis des Indiens était injuste et tyrannique ». Il se mit à prêcher pour changer les choses, au grand scandale des colons. On sait aussi qu’à l’époque de cette première conversion il acceptait le système de la traite des Noirs alors en vigueur. Il ne comprit que plus tard l’iniquité de l’esclavage des Noirs et s’accusa hautement de son aveuglement passé.
Son influence et celle des théologiens thomistes inspirèrent à
Charles Quint les Lois nouvelles de 1542, qui prévoyaient l’interdiction de l’esclavage des Indiens.
« Las Casas eût voulu davantage, mais la promulgation des Lois nouvelles souleva dans toute l’Amérique la furieuse opposition des colons, qui alla au Pérou, jusqu’à la révolte armée contre le pouvoir royal. »
Il valait la peine de rappeler à grands traits l’histoire de ce magnifique lutteur qui ne fut pas le seul. Par ailleurs le film « Mission » a remis en mémoire les efforts des Jésuites au Paraguay pour défendre les Indiens. Que de choses auraient changé pour ce continent si on avait davantage écouté les « prophètes » de ces origines !
Déjà beaucoup de chemin a été parcouru. Comme l’écrivait Frère Manoel Alvès, un Frère Mariste brésilien dans cette revue en 1992 (N° 191) :
« L’Ecole catholique se place en ce moment à l’écoute de Jean-Paul II qui ne cesse de convoquer l’Eglise en Amérique latine, comme il l’a fait pour la première fois en Haïti le 9 mars 1983, à une nouvelle évangélisation. »
« Les nouvelles formes d’éducation souhaitée par l’Eglise auprès des plus démunis s’accentuent de jour en jour. Cependant, face aux immenses besoins, le défi reste très grand. Chaque diocèse et congrégation religieuse prend des initiatives concrètes pour les affronter. »
« Ce processus de marche vers les pauvres a entraîné une redistribution des religieux, en drainant une bonne partie d’entre eux hors des écoles traditionnelles pour les élites. Les religieux qui y sont restés, avec les laïcs qui, depuis, sont devenus très largement majoritaires, essaient de réorienter les projets éducatifs. »
Et c’est avec plaisir qu’on lira cet extrait de la Lettre des Délégués du CEFAL à la Coopération Missionnaire des Diocèses de France :
« Nous sommes émerveillés par le fourmillement d’initiatives qui naissent dans tous nos pays. Ce sont des minorités significatives : impressionnant par exemple le nombre de Communautés qui s’assument sans la présence de prêtres. Partout, ces initiatives vont particulièrement vers les exclus : enfants de la rue, prisons, populations indigènes, migrants, femmes des quartiers populaires, noirs, vieillards, handicapés… Des groupes s’organisent aussi et développent une économie solidaire. Nous sommes témoins d’une sainteté des laïcs qui donnent toute leur vie au service du Christ et de leurs frères et sœurs. »
Frère Bernard MEHA
« Présence Mariste » n°241, octobre 2004