Laïcité : Les conséquences de la loi de 1905 sur la vie de l’Eglise catholique

La loi du 9 décembre 1905 provoque des bouleversements immédiats et conduit à une transformation sur le long terme pour la vie de l’Eglise catholique en France.

La loi du 9 décembre 1905, non de séparation mais de distinction des Eglises et de l’Etat suivant la formule du sociologue Emile Poulat, provoque des bouleversements immédiats et conduit à une transformation sur le long terme pour la vie de l’Eglise catholique.

Souvent peu évoquée à propos de la loi du 9 décembre 1905, une circulaire de l’Enregistrement en date du 2 janvier 1906 intime aux agents de l’administration la consigne, au moment de procéder aux inventaires des biens ecclésiastiques spécifiés par cette loi, de demander aux « prêtres présents l’ouverture des tabernacles ».
Non prévue par la loi, cette décision est perçue comme offensante pour les catholiques, ce qui explique des résistances de leur part : non pour eux-mêmes mais pour défendre Dieu qu’ils considèrent manifestement visé par la nouvelle directive de l’Etat.

Des troubles se produisent en France lors des « inventaires »

Les 1er et 2 février 1906, lors de l’inventaire des églises parisiennes Sainte Clotilde et Saint Pierre du Gros Caillou, de vifs heurts se produisent entre les forces de l’ordre et les fidèles. D’autres affrontements éclatent à travers le pays.

Funérailles de Géry Ghysel à Boeschepe

Le 6 mars 1906, dans l’église de Boeschepe qui est un village des Monts de Flandre, le fils du percepteur abbat Géry Ghysel, père de famille catholique.
Le lendemain, un débat houleux s’ensuit à la Chambre des députés et conduit, ce 7 mars, à la chute du gouvernement Rouvier.
Ce même mois, à Montregard en Haute-Loire, un autre catholique, André Régis, est abattu lors des inventaires. L’Etat orchestre une véritable spoliation. Les églises, séminaires, évêchés, presbytères et d’autres biens de l’Eglise passent sous son contrôle, y compris des objets liturgiques ou des édifices religieux intégralement financés par les fidèles.

Un modus vivendi se met en place

Ministre de l’Instruction publique et des Cultes, Aristide Briand signe une circulaire le 1er décembre 1906 afin d’autoriser que les cérémonies religieuses puissent se dérouler dans les églises sur la base de la loi de 1881 relative aux réunions publiques.
Le 23 janvier 1907, une loi indique que les édifices cultuels seront laissés, « pour la libre pratique de leur religion », à la disposition des fidèles et des ministres du culte qui en deviennent dès lors affectataires.
Le 13 avril 1908, une loi confère la propriété des églises aux communes sur le territoire desquelles elles se situent et celle des cathédrales à l’Etat. L’entretien des édifices cultuels construits avant la loi du 9 décembre 1905 relève désormais respectivement soit des communes, soit de l’Etat.
Tandis que l’Eglise catholique s’occupe de gérer les églises édifiées depuis lors, soit environ une sur quatre actuellement en France.

1923-1924 : les associations diocésaines,
le cartel des gauches

Récusant les associations cultuelles prévues par la loi du 9 décembre 1905 et qui pouvaient être composées de non catholiques pour s’occuper de la gestion des églises, ce qui paraissait peu légitime, l’Eglise catholique obtient en 1923-1924 la mise en place d’associations diocésaines dirigées par les évêques.

Peu après, le cartel des gauches (1924-1926) prône la suppression de l’ambassade de France près-le-Saint-Siège, la fin du concordat en Alsace-Moselle, l’arrêt des établissements scolaires libres et l’expulsion hors du pays des congrégations religieuses dont les membres avaient été rappelés en France, après leur expulsion du début du XXe siècle, pour participer au premier conflit mondial.

La mobilisation de deux millions de catholiques autour du général de Castelnau, héros de la Grande Guerre, s’oppose avec succès à ce programme anticlérical et contribue à la chute de ce gouvernement.

La question des ressources de l’Eglise.

La suppression des traitements financiers accordés aux ministres des cultes lors de la période concordataire conduit, après le vote de la loi de 1905, à instaurer le denier du culte appelé, à la fin du XXe siècle, denier de l’Eglise.
A l’origine, il s’agissait de subvenir aux besoins des prêtres. Depuis lors, sont aussi financés les permanents nationaux de mouvements d’Action catholique, les frais liés à la catéchèse ou à d’autres services d’Eglise.
Actuellement, environ 1,4 million de Français assurent le financement du denier de l’Eglise dont le montant, en 2004, s’est élevé à 195 millions d’euros.

Interdiction d’exercer dans l’enseignement
secondaire public pour les prêtres et les religieux

La loi du 9 décembre 1905 a pu être perçue comme offrant une certaine marge de manœuvre à l’Eglise. La situation n’est pas si simple comme en témoigne « l’arrêt Bouteyre » de 1912. Inscrit sur la liste des candidats au concours de l’agrégation de philosophie de l’enseignement secondaire, l’abbé Bouteyre en est finalement radié.
En effet, le ministère de l’Instruction publique l’exclut de la liste des candidats autorisés à concourir car il est prêtre. Le 10 mai 1912, le Conseil d’Etat rejette le recours du prêtre.
Cet « arrêt Bouteyre » fait dès lors office de jurisprudence et consacre le principe de l’interdiction d’exercer dans l’enseignement secondaire public pour les prêtres et les religieux.
Il faut attendre le 21 septembre 1972 pour qu’un avis du Conseil d’Etat déclare que la neutralité de l’enseignement public n’empêche pas un ecclésiastique de concourir à l’agrégation.

Affiche du denier de l’Eglise

En 1810, le code pénal interdisait aux ministres des cultes de procéder à un mariage religieux si les intéressés ne donnaient pas la preuve de leur mariage civil.
Ce point est aménagé par le code pénal de 1994 qui stipule en son article 433-21 :
« Tout ministre d’un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil sera puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »
Ces dispositions prouvent, si besoin est, que la séparation des pouvoirs n’est pas nécessairement de mise aujourd’hui.

Des difficultés persistent

La loi de 1905 permet une plus grande indépendance du domaine spirituel par rapport au pouvoir temporel, ce qui n’est pas sans rencontrer quelques difficultés comme l’illustre l’inertie de certaines municipalités pour assurer l’entretien des édifices cultuels de leur commune.
Par ailleurs, il convient d’éviter le piège de ceux qui arguent de cette loi pour cantonner l’expression de la foi des chrétiens à la vie privée alors que, par fidélité à la mission d’évangélisation, le témoignage de la foi chrétienne appartient au domaine personnel, ce qui est différent, et revêt par nature un caractère public.

Ludovic LALOUX
Docteur en histoire, professeur agrégé
chargé de cours à l’Université de Lille III


Né en 1963, Ludovic LALOUX publie à 25 ans, « Le Mouvement eucharistique des jeunes », qui est son mémoire de maîtrise en histoire. En 1999, à l’Université de Lille III, il soutient sa thèse de doctorat en histoire : Les étapes du renouvellement de l’Apostolat des laïcs, en France, depuis le concile Vatican II.
Nommé à l’Institut universitaire de formation des maîtres du Nord-Pas-de-Calais, il est membre du comité éditorial de la revue Histoire de « christianisme magazine ».


(Publié dans « Présence Mariste » n°248, juillet 2006)

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