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La laïcité, une menace ? … La laïcité, une chance …

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La laïcité, nous renvoie au fondement de l’acte libre de croire. La confiance que l’on met en Dieu nécessite notre liberté. La séparation des Églises et de l’État a rendu l’Église catholique à sa liberté. (Présence Mariste n°286, janvier 2016)

Pierre Lathuilière est prêtre du diocèse de Lyon. Il a enseigné la théologie dogmatique et la théologie de l’œcuménisme. Il est membre du Groupe des Dombes.
Pierre Lathuilière a co-signé un livre « Dieu est-il laïque ? », qui situe bien la laïcité comme une chance pour les chrétiens de ce pays et d’une façon générale pour le vivre ensemble de la population…
Nous l’avons rencontré, dans sa cure de Francheville, entre un groupe de caté et la préparation de funérailles, au cœur donc de sa mission de curé de paroisse.
Voici un résumé de notre entretien…
Pierre La Thuillère

Quand on parle autour de nous de la laïcité, on rencontre bien rarement de l’indifférence ! Il y a des ressentis très différents. Selon qu’on appartient à une tradition religieuse attentive à la distinction entre le domaine spirituel et le domaine temporel. Ou qu’au contraire on pense que tout passe par le religieux, ou, à l’inverse, que le religieux doit se cantonner à la sphère privée.

Dans ces deux derniers cas, la laïcité peut être perçue comme une menace pour notre foi ou pour notre vivre-ensemble. Pour ceux qui pensent que rien d’important ne se passe en dehors du religieux, il faut bien « faire avec la laïcité » puisqu’elle nous est imposée ! Mais elle est considérée alors comme une ingérence de l’État dans la vie privée… Pour ceux qui vivent leur religion comme l’unique source de la vie sociale, c’est une exclusion de la vie publique, puisque la religion est reléguée au strict domaine de la vie privée !

Pour nous, Chrétiens, la laïcité s’enracine dans la parole de Jésus « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Mais la réalité nous oblige à prendre en compte que la dimension religieuse et la dimension politique se rencontrent. Parce que la dimension religieuse fait partie de l’existence.

La laïcité comme menace

Parmi les raisons de se sentir menacé par la laïcité, on peut donc en isoler deux, toutes deux basées sur une vision erronée de la religion pour la première, et une vision tout aussi erronée de la laïcité pour la seconde.

La première menace est ressentie chez ceux qui ont une vision totalitaire de Dieu et qui pensent que la laïcité n’est pas possible. Si quand Dieu parle, l’homme ne peut plus parler, la laïcité est considérée comme une forme de blasphème… Cette position pose un problème théologique. Cette vision totalitaire de Dieu, d’un Dieu perçu comme explication unique du monde, n’est pas la vision chrétienne… Elle est une fausse image de Dieu.

Il est intéressant de rappeler l’« Athéisme créaturel » d’Emmanuel Levinas : quand Dieu crée, il accepte que la création ne soit pas divine, donc que Dieu ne soit pas tout. Il accepte toute l’autonomie de l’être humain, des sciences, de l’histoire, et la liberté ! On retrouve ce dessein divin dans cette parole d’Hölderlin : « Dieu a créé le monde comme la mer, en se retirant ! » Notre religion, ce n’est pas, bien sûr, de dire à Dieu qu’il se retire ! C’est l’inverse… C’est de dire « Viens, nous t’attendons ! ». Mais en même temps, c’est un cri qui est au cœur de l’absence !

Mais il ne faut pas confondre la négation de Dieu et l’absence de Dieu…Ce n’est pas parce que Dieu nous parait absent qu’il n’existe pas !

Le tribut à César - Rubens

L’autre menace, c’est celle qui vient des « traditionnalistes » de la sécularisation ; ceux qui pensent que les religions sont mauvaises, et qui font de la laïcité un instrument pour faire disparaitre toute dimension religieuse dans l’être humain ; ceux qui instrumentalisent la laïcité pour renvoyer la religion dans la sphère privée… qui respectent la décision intime de croire et refusent la dimension communautaire de la pratique religieuse…

Pour eux, la rencontre entre la dimension religieuse et la dimension politique se passe dans la sphère privée, à l’intérieur des personnes.

Cette position est basée sur la croyance, qui remonte à Auguste Comte, que nous évoluons d’un âge religieux à un âge métaphysique, puis à un âge scientifique, sans Dieu… A partir du moment où il y a un domaine qui a son efficacité propre, une efficacité qui ne doit rien à Dieu, mais tout à la réflexion humaine – et cela, les Chrétiens le reconnaissent –, ils en déduisent que d’une façon générale, il faut se passer de Dieu… Comme si Dieu n’était pour nous qu’une explication ! Dieu n’est pas une explication… Il est bien plus que cela !

« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».
Il faut voir les deux panneaux de la formule… On s’arrête souvent sur le premier, fondement de la laïcité… On oublie de considérer le second, « et à Dieu ce qui est à Dieu »… La laïcité nous pousse à considérer la dimension religieuse comme autonome, et elle met en valeur sa consistance !

La laïcité comme une chance

La première chance que nous offre la laïcité, c’est de nous renvoyer au fondement de l’acte libre de croire. La confiance que l’on met en Dieu nécessite notre liberté… Dieu veut entrer en contact avec nous et il attend notre réponse… Le retrait de Dieu de sa création, pour reprendre la formule d’Hölderlin, son absence, n’est pas une négation de Dieu : elle nous laisse avec notre liberté ! Ce qui donne toute sa valeur à notre religion.

La seconde c’est que la laïcité nous oblige à approfondir notre propre foi. « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Il faut voir les deux panneaux de la formule… On s’arrête souvent sur le premier, fondement de la laïcité… On oublie de considérer le second, « et à Dieu ce qui est à Dieu »… La laïcité nous pousse à considérer la dimension religieuse comme autonome, et elle met en valeur sa consistance !

La troisième chance : la laïcité nous oblige au dialogue… Il n’y a pas que la liberté : je fais ce que je veux, les autres font ce qu’ils veulent… Une laïcité sans dialogue, c’est la même chose qu’une religion sans dialogue : ça devient un système, et c’est stérile !

Le dialogue avec les États, d’abord, qui repose sur des positions claires : l’Église a une finalité spirituelle et l’État une finalité temporelle. La séparation des Églises et de l’État a rendu l’Église catholique à sa liberté. Déjà Lamennais et Montalembert, le disaient, bien avant les lois laïques : « une Église libre, dans un État libre ! »

Dieu est-il laïque ?

Ce n’est pas vrai qu’en France, d’ailleurs, dans d’autres pays aussi. Sans aller jusqu’à la séparation, l’Église, après Vatican II, a pris des initiatives de concordats, pour harmoniser selon ce principe les rapports entre le temporel et le spirituel…

Le dialogue entre l’Église catholique et les autres expressions religieuses, aussi… Il fait partie de la ligne de fond lancée par Vatican II. Tout est lié, tout est cohérent ! Liberté religieuse (Dignitatis Humanae), autonomie des sciences et de la foi (Gaudium et Spes), dialogue avec les autres religions (Nostra Aetate), dialogue avec les autres confessions chrétiennes (Unitatis Redintegratio)… tout est là, toutes les bases d’un dialogue entre l’Église et le monde… C’est une chance de laisser confronter sa foi à une mise en œuvre concrète du respect de l’autre et du sens de la liberté de conscience.

Mutation culturelle significative, la laïcité ne saurait se confondre avec la neutralité. Et elle ne doit pas non plus conduire à une neutralisation de l’humanité face aux questions de son origine, ses choix éthiques, son devenir, son vivre ensemble. La laïcité ne rend pas la foi muette mais invite le croyant à l’exprimer autrement.

Pierre Lathuilière
(Publié dans « Présence Mariste » n°286, janvier 2016)

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