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Quelques pas au pays de la Politique

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Où est alors l’intérêt général ? Qui le définit ? Quelle est la place de l’homme ? Est-il une fin ou un moyen ? Quelle culture nos successeurs retiendront-ils de notre époque ? (Présence Mariste n°291, avril 2017)

Comment mieux définir le politique qu’en en retraçant son histoire ! Mais comment retracer son histoire en une seule petite page ? Ces quelques lignes n’ont d’autre but que de donner envie d’en savoir plus.

Les Grecs et le politique

On dit que les Grecs ont inventé la démocratie ! C’est vrai et ce n’est pas vrai !
Sans doute une forme de démocratie primitive initiée au VIe siècle avant JC, a-t-elle connu son apogée sous Périclès.
Sans doute les Grecs ont-ils été les premiers à réfléchir au sens de la politique, à avoir mis en concept les différents types de gouvernement, et à avoir séparé le politique de la divinité….

Mais la démocratie n’était pas la tasse de thé des plus grands, Platon et Aristote par exemple, qui l’un et l’autre déniaient au tout venant les capacités de gouverner et supposaient une initiation philosophique pour l’un et la richesse pour l’autre avant de prendre en charge les affaires de la cité…
Toujours est-il que nous devons aux Grecs au moins deux acquisitions fondamentales :

  • La notion d’intérêt général et de sa recherche comme sens du politique…
  • L’extraction du présent, la projection dans l’avenir et donc le sens de l’histoire.

Des Romains aux approches chrétiennes

Les Romains se sont inspirés directement des principes philosophiques des Grecs. Mais ils les ont concrétisés… C’est Rome qui est à l’origine du droit…
Mais les conditions n’étaient plus les mêmes ! De la gestion de la Cité, on passe à la gestion de l’empire ! La mondialisation, déjà !
En 313, l’Empire devient chrétien… Une grande confusion entre pouvoir temporel et spirituel s’ensuit. La pensée modératrice de Saint Augustin (354-430) est rapidement pervertie, et le pouvoir spirituel de l’Église prend bien trop souvent le pas sur le pouvoir temporel…

Il faudra attendre Saint Thomas d’Aquin (1224-1274) pour que le pouvoir temporel retrouve toute son indépendance : La Cité terrestre n’est pas une institution divine : elle est dans l’ordre de la création un « fait naturel », une affaire humaine, même si elle entre dans le plan de la Providence. Sont bons les régimes qui sont orientés vers la satisfaction du bien commun et mauvais ceux qui poursuivent des intérêts particuliers… Point final !

Allégorie du bon et du mauvais gouvernement, d’Ambrogio Lorenzetti (1337-1340)…

Allegorie du bon et du mauvais gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti

L’intention est bien claire : c’est seulement si le pouvoir repose sur la justice sociale que la population en tire bénéfice.
Cette allégorie schématise la pensée avant-gardiste du moment…
Une reprise des conceptions des anciens revues par saint Thomas d’Aquin… et une préfiguration de pensée politique de la Renaissance…

À gauche, la justice, donnant à chacun son dû selon ses mérites (châtiments et récompenses). À droite le pouvoir temporel entouré des autres vertus…
Une corde relie la justice au pouvoir… Elle passe par la Concorde et son rabot, puis par 24 citoyens, tous égaux (le rabot !)…
Sur les deux murs adjacents (non représentés) on constate les effets du bon gouvernement, à droite, et du mauvais gouvernement, à gauche… La paix et le bonheur d’un côté, la guerre et ses désordres de l’autre.

Le Prince de Machiavel, l’Utopie de Thomas More, et après !

Deux conceptions diamétralement opposées de la Politique !
Machiavel (1469-1527), dans une œuvre courtisane à l’usage des Médicis, énonce les moyens les plus sûrs d’atteindre et de conserver le pouvoir…
Thomas More (1478-1535), au péril de sa vie, dénonce les abus du système des « enclosures » - le parallèle est intéressant avec la situation actuelle - et présente le gouvernement idéal d’Utopie, Pays de Nulle Part… étoile de bien des aspirations politiques ultérieures…

Les deux conceptions vont coexister jusqu’à la Révolution française, au moins ! C’est l’installation de l’absolutisme d’un côté, Léviathan implacable de Hobbes ou Monarque de droit divin. Et la montée de l’état-nation et du contrat social de l’autre, théorisés par les Lumières et par Rousseau…
Pour les américains de 1776 et pour les révolutionnaires de 1789, l’Utopie sort du pays de nulle part et devient un futur possible !

La place de l’État

L’Utopie de Thomas More - Pays de nulle Part - 1516

L’histoire des idées politiques après la Révolution française est bien difficile à synthétiser…
En Allemagne, prolongeant les réflexions de Kant et de Fichte, Hegel pose l’État comme l’expression de la Raison dans l’histoire. C’est seulement dans l’état que l’homme a une existence conforme à la raison.
Parallèlement, des utopies fleurissent çà et là, reprenant les idées de Saint Simon (1760-1825) et de Charles Fourrier (1772-1837)…
Le terrain est prêt pour l’euphorie marxiste malheureusement dénaturée au XXe siècle par le totalitarisme soviétique. Plus tard, le national-socialisme, achèvera de faire du siècle dernier celui des totalitarismes.
Comme le souligne Hannah Arendt (1906-1975) les deux se sont construits avec l’appui des masses populaires, saignées à blanc et déstructurées par l’ordre féodal ou par le capitalisme, et en recherche de sens. L’État fort et ses perspectives grandioses apparaît alors comme la solution, avant d’imposer sa vérité, de se trouver des ennemis « objectifs » et de s’en prendre aux libertés individuelles.

Et demain ?

Notre XXe siècle est héritier de cette histoire…
Libéralisme exacerbé en plus !
Le libéralisme n’est pas d’aujourd’hui ! Il est même le fondement de la pensée économique occidentale… depuis les Grecs ! Et donc en quelque sorte le fil conducteur de cette page.
Mais ce qui est nouveau, c’est le libéralisme radical, où la loi du marché est devenue la loi, et où l’État, donc le politique, voit son rôle se réduire à la portion congrue.
Ou est alors l’intérêt général, clé de voûte de toute politique ? Qui le définit ?
Quelle est la place de l’homme ? Est-il une fin ou un moyen ?
Quelles sont nos aspirations, en dehors de la consommation débridée ? Quelle culture nos successeurs retiendront-ils de notre époque ?
Autant de questions qui actualisent toutes les réflexions précédentes, et qui nous font crier notre aspiration à une autre vision d’avenir…

Michel DUCHAMP
(Publié dans « Présence Mariste » n°291, avril 2017)

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