« Le grand voyage »

Lion du futur - Venise 2004. Prix du meilleur premier film

Le cinéma aime bien le road-movie. Le Grand Voyage d’Ismail Ferroukhi raconte, en 1 h 50, une superbe histoire.

Affiche du film

Réda (Nicolas Cazalé), un jeune lycéen, vit en Provence et se trouve contraint par les évènements de conduire en voiture son père (Mohamed Madj) en pèlerinage à La Mecque. Tout au long du chemin, du sud de la France jusqu’en Arabie Saoudite, il va réapprendre à communiquer avec son père et renouer avec ses origines. Sur ce ruban kilométrique qui se déroule, dans ce temps suspendu, dans cette espace fermé d’une automobile, Ferroukhi nous offre un véritable cadeau : loin de tout prosélytisme, il se concentre sur l’évolution du rapport entre un père et un fils, étrangers l’un à l’autre au départ et forcés de cohabiter un long moment.

Ce qui est particulièrement difficile à réaliser et pourtant parfaitement réussi, c’est l’osmose entre le voyage physiquement pénible (surtout pour le père vieux et malade qui aurait dû le faire en avion peut-être mais pour qui les difficultés matérielles donnent un sens à son pèlerinage) et le voyage intérieur à la rencontre de l’autre et de soi-même. Chacun ainsi s’engage sur des voies inconnues et apprend que le but du voyage est avant tout le voyage lui-même. Les deux hommes se posent les vraies questions. Comment communiquer avec l’autre et comment accepter sa différence culturelle, linguistique et religieuse ?

En chemin, ils apprennent que quelque part la route sur laquelle ils se trouvent « n’existe pas sur la carte », un constat qui vaut aussi pour les rapports entre les deux hommes. Dans le voyage, et à plus forte raison le pèlerinage, le chemin est à tracer et à construire par chacun ; insensiblement, en approchant de La Mecque l’atmosphère change. Réda a découvert ce qu’était l’Islam à travers la générosité et la convivialité des pèlerins ; le père, lui, a compris le désir d’indépendance de son fils.

La grande originalité également de ce film c’est son utilisation du huis-clos de la vieille auto brinquebalante et, en même temps, cette caméra qui n’oublie surtout pas de saisir aussi les paysages traversés : prairie puis neige, et au final le sable. Mais le plus impressionnant reste cette vision de La Mecque envahie par cette foule immense de pèlerins, vision que l’on n’avait encore jamais eue dans un film de fiction.

Véritable cheminement humain et spirituel, ce film sur la recherche d’identité nous offre un art de l’ellipse où la poésie jaillit des faits, des gestes, des objets. Certains verront que Dieu est là avec intensité dans ces ellipses… Grand Voyage : du silence à l’acceptation finale.

Et si, comme dans le film de Woody Allen, La Rose pourpre du Caire, nous, spectateurs, en voyant un film comme Le Grand Voyage, nous avions envie soudainement de nous lever, de nous mettre en marche et… de traverser l’écran à la quête de cet Ailleurs ! De Spectateur devenir Acteur de notre vie. Je rêve ou non ?

Claude CARREZ [1]
(paru dans Présence Mariste N° 257, octobre 2008)

[1C. Carrez est responsable cinéma sur RCF Lyon. Il a travaillé plusieurs années à l’Institut du Langage Total fondé par Frère A. Vallet

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