n° 280 Sources

La philosophie est, elle aussi, oeuvre de la providence divine

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Aujourd’hui, la philosophie consiste plutôt en une réflexion sur soi. Il s’agit d’apprendre à se connaître. Il s’agit d’apprendre à juger sereinement des choses, des événements, des hommes. Pour faire court, à penser. (Publié dans « Présence Mariste » n°280, juillet 2014)

Bernard Faurie

Pour ceux d’entre nous qui ont décroché leur bac, ce mot “philosophie” renvoie à nos chères études de la dernière année du lycée. On explorait les domaines de la psychologie, de la logique, de l’éthique, de l’esthétique, et parfois on s’aventurait dans celui de la métaphysique. On faisait connaissance avec Platon et Aristote, avec Descartes, Kant et Bergson. Autant se l’avouer, les questions philosophiques pouvaient alors nous apparaître comme des spéculations de dilettantes.

La philosophie quitte maintenant ce piédestal et descend de son trône, répondant à ce vœu de Jean Guitton : « Je voudrais que l’idée inspiratrice d’un philosophe soit parfois capable de descendre des neiges où elle est née et qu’elle vienne, comme une colombe, se poser sur la branche d’un arbre au milieu des hommes qui peinent ».

…c’est l’antidote à une vie trépidante et désordonnée, à ce tourbillon tumultueux et bruyant…

La philosophie se démocratise

Aujourd’hui, la philosophie consiste plutôt en une réflexion sur soi. Il s’agit d’apprendre à se connaître. « Connais-toi toi-même » disait le philosophe grec Thalès de Milet. Cette maxime était gravée au fronton du temple d’Apollon à Delphes. Et Pascal : « Quand cela ne servirait pas à trouver le vrai, cela sert au moins à régler sa vie, et il n’y a rien de plus juste ». Il s’agit d’apprendre à juger sereinement des choses, des événements, des hommes. Pour faire court, à penser. Et c’est l’antidote à une vie trépidante et désordonnée, à ce tourbillon tumultueux et bruyant qui nous entraîne malgré nous et ne nous laisse plus de temps pour faire place à un peu de silence et à la réflexion. C’est retrouver une paix intérieure et une sagesse comme l’enseignaient les stoïciens, Epictète ou Marc-Aurèle.

Descartes : « Je pense donc je suis »

Une philosophie chrétienne…

Or c’est précisément dans ce sens que le premier des philosophes chrétiens, saint Justin, au second siècle de notre ère, prenait ce mot « philosophie ». Pour lui, la philosophie est la recherche de la sagesse, de la sagesse qui mène à Dieu. La philosophie conduit à la théologie. Pour Saint Clément d’Alexandrie « La philosophie est, elle aussi, œuvre de la providence divine ». Raison pour laquelle, sans doute, les études de philosophie précédaient celles de théologie dans les séminaires. Curieusement, on retrouve la même idée chez Fontenelle, écrivain, philosophe et homme de science du 18e siècle, et qui fut loin d’être un saint : « On est surpris et peut-être fâché de se voir conduit par la seule philosophie aux plus rigoureuses obligations du christianisme ; on croit communément pouvoir être philosophe à meilleur marché ».

…Déjà en germe dans les sagesses antiques

Il faut croire que la recherche de la sagesse a depuis toujours préoccupé les hommes. C’est ce que les Egyptiens estimaient le plus comme en témoignent ces plus vieux livres du monde, vieux de plus de quatre mille ans, que sont la Sagesse d’Imhotep, L’enseignement du sage égyptien Ptahhotep, ou les Instructions à Merikaré. Certains textes bibliques font écho à cette littérature, comme la phrase de la Genèse où il est dit que l‘homme est fait à l‘image de Dieu. « Les hommes sont les images de Dieu qui sont sorties de ses membres » dit Merikaré. Le livre biblique de Job a, quant à lui, un antécédent dans un livre de sagesse mésopotamien, Le Juste souffrant, qui date de huit siècles avant notre ère.

Jésus et le figuier stérile. Enluminure d’un manuscrit arabe

Le philosophe de la bible est aussi un sage…

La littérature de sagesse est bien représentée dans la Bible, par les livres des Proverbes, du Qohélet, de La Sagesse, du Siracide et de Job. À part le livre de Job, auquel on recourt pour se pencher sur le douloureux problème du mal dans le monde, ces textes bibliques sont les grands oubliés dans nos liturgies chrétiennes. Pourtant ils correspondent bien à nos questionnements. La Bible a souvent des positionnements radicaux. Ainsi le prophète Elie admonestant le peuple : « Jusqu’à quand danserez-vous d’un pied sur l’autre ? Si c’est le Seigneur qui est Dieu, suivez-le, et si c’est le Baal, suivez-le ! » (1R 18, 21) Les rois d’Israël et de Juda n’échappent pas à l’une ou l’autre de ces deux catégories : ou ils sont bons ou ils sont mauvais, sans nuance.

Cette même radicalité se retrouve dans le Nouveau Testament. « Qui n’est pas avec moi est contre moi et qui ne rassemble pas avec moi disperse » dit Luc (11, 23) ou « Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume de Dieu » dit aussi Luc (9,62). L’auteur de l’Apocalypse est encore plus tranchant : « Parce que tu es tiède, et non froid ou bouillant, je vais te vomir de ma bouche » (3,16).

…Qui n’a pas sa langue dans sa poche

Mais on trouve dans les livres bibliques de sagesse une pensée plus complexe, plus nuancée. L’exemple le plus significatif est celui du livre de Job, où les trois amis de Job, tentant de le consoler dans ses malheurs, lui opposent et soutiennent des points de vues différents dans des dialogues et une discussion typiquement orientale. Ce qui fait penser encore au dialogue tenace d’Abraham avec Yahvé à propos du châtiment de Sodome, qui pose lui aussi le problème de la justice divine. Où l’on voit que la pensée complexe laisse les questions ouvertes et laisse le champ libre pour la discussion et le dialogue.

« Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir, sinon tu le couperas »}

St Clément d’Alexandrie

Cette pensée complexe n’est pas absente du Nouveau Testament. L’exemple qui me paraît significatif est la parabole du figuier stérile qu’on lit en Luc 13, 9 : « Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n’en trouva pas. Il dit alors au vigneron : Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier et je n’en trouve pas. Coupe-le. Pourquoi faut-il qu’il épuise encore la terre. Mais l’autre lui répond : Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche tout autour et que je mette du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir, sinon tu le couperas ».

Philosopher, c’est se rendre digne d’être enfants de dieu

Le vigneron de l’évangile est un sage. Il réfléchit et fait appel au raisonnement. Il oppose à l’ordre qui vient de Dieu une hypothèse qu’il se permet d’émettre et de soutenir. « Chrétien, reconnais ta dignité » disait le pape Saint Léon le Grand. L’attitude du chrétien n’est pas celle d’un esclave devant un potentat. C’est l’attitude d’un enfant aimant, mais qui aime savoir. « Quand est venu l’accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et assujetti à la loi pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à la loi, pour qu’il nous soit donné d’être fils adoptifs » dit Paul dans sa lettre aux Galates (4, 4-5). Et Pascal : « La sagesse nous renvoie à l’enfance ». Thérèse de l’Enfant-Jésus avait parfaitement compris cela.

Bernard FAURIE
(Publié dans « Présence Mariste » n°280, juillet 2014)

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