Civilité et langage

Évolution de l’usage de certains mots au fil du temps

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Le vocabulaire : un révélateur de la vie en société

Parmi toutes les « conventions qui régissent les rapports des hommes entre eux », sans doute le choix du vocabulaire auquel recourent à un instant T les élites du pays, les professeurs, les journalistes, tous ceux qui occupent les médias ou la scène publique, dit-il beaucoup de la qualité des relations dans une société donnée.

Il y a quelques mois, les propos injurieux, voire orduriers - réels ou supposés tels - tenus à l’adresse de l’entraîneur de l’Équipe de France de football par un joueur mal embouché barraient la Une du Journal l’Équipe. De nombreux commentateurs ont désapprouvé le grand quotidien sportif. Selon eux, il n’était pas convenable de rapporter les propos in extenso.

Convient-il, dès lors, de considérer que le journal l’Équipe a enfreint « une convention tacite à laquelle l’usage a donné force de loi »… Oui, sans doute, dès lors que précisément son choix éditorial suscite une large réprobation dans l’opinion publique.

Quand des « gros mots » obtiennent « droit de cité »


Mais il convient de se demander quand, en matière de langage et de choix du vocabulaire, on enfreint les règles de la bienséance… de la civilité. J’illustrerais volontiers la chose à partir de l’entrée triomphante et tapageuse du mot con dans le langage courant, depuis peu d’années. Ce petit mot, d’origine latine, est apparu dans les langues d’oc vers 1200, avant de passer subrepticement dans la langue française, créée par l’ordonnance que prit François 1er à Villers-Cotterêts en 1539.

Le mot con, en ce temps-là, était tout à fait prohibé. Son emploi attestait d’une rare vulgarité. Et, des siècles durant, il en fut ainsi. Dans l’édition du Lexis de 1975, page 373, (Éditions Larousse) on peut encore lire cette définition : « Mot grossier, s’employant comme injure, proscrit par le bon usage, comme ses dérivés et composés. »

Puis vint 1998 et Francis Veber offrit à la France des cinéphiles son célèbre « Dîner de cons  ». Pour le malheureux petit proscrit depuis des siècles, l’heure de la revanche avait sonné. Dès lors, on assista à la banalisation totale du mot con qui désormais se maria admirablement avec une myriade de qualificatifs… Le con pouvait être vrai, petit, grand, gros, sale, pauvre, etc. Puis l’on vit le truculent Président de la Région Languedoc-Roussillon déclarer au Grand Journal de Canal + qu’à Toulouse, maintenant, le mot con avait remplacé la virgule.

Et enfin, en ce froid samedi 23 février 2008, suprême consécration pour le « mot grossier, proscrit par le bon usage »… Le Président de la République française lui-même, en visite au salon de l’Agriculture, invite l’un de nos concitoyens qui avait refusé de le saluer, à disposer en ces termes virils qui firent le tour du monde sur le net : « Casse-toi, pauvre con ! »

Le petit proscrit qui avait fait son entrée, honteux, sur le sol national à l’aube du 13e siècle, recevait ce matin-là son bâton de maréchal.

Résister ou subir ?


On ne saurait conclure quoi que ce soit de cette évolution du langage qui accompagne sans aucun doute celle des mœurs. En tout cas, on l’observe, un peu comme les entomologistes quand ils sont captivés par le comportement des insectes. Parfois, un soupçon de nostalgie nous fait regretter l’heureux temps où tout un chacun s’efforçait de s’exprimer correctement.

Mais la nostalgie est, bien sûr, chose vaine. Dans le langage, comme dans bien d’autres conventions, notre société a vu céder maintes digues. Et il est bien difficile d’arrêter les tsunamis. Cela étant, il n’y a rien de vraiment nouveau sous le soleil…

Michel CATHELAND
(paru dans Présence Mariste N° 265, octobre 2010) [/bleu]

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