Une société qui se verrouille

Les multiples aspects sociaux et administratifs de l’immigration

« Même s’il faut attendre 10 ans, je passerais ! » Léopold, camerounais, vit dans un camp de plusieurs centaines d’Africains dans la banlieue d’Oujda au Maroc. Arrivé au Maroc en février 2004, Léopold a déjà été refoulé 15 fois entre Nador et Oujda.« J’ai même essayé de passer par la Libye. Mon temps n’est pas encore arrivé, seul Dieu décide. Même s’il faut attendre 10 ans ou gravir une barrière de 10 mètres, j’y arriverai, je passerai. Je n’ai pas d’autre avenir que d’aller en Europe. Rien ne m’arrêtera. »

Devant cette volonté, certains lecteurs peuvent être résignés, d’autres écœurés, d’autres poussés à rejoindre les associations qui luttent pour les droits de l’homme.

Comment se fait-il que Léopold et des centaines de milliers d’autres ne peuvent rejoindre le pays de leurs rêves ?
On peut (et on doit) discuter avec les politiques qui font ainsi barrage. On peut aussi, même si c’est plus ardu, regarder les moyens de cette politique ?
Chaque gouvernement a pris des mesures de plus en plus restrictives.
Pendant combien de temps ce qui est dit aujourd’hui sera-t-il encore valable ?

L’Europe du Sud

Elle lutte contre l’immigration en soutenant financièrement ou par copinage l’existence de camps dans les pays du Maghreb (Libye, Maroc…) L’Algérie (suivant en cela la Tunisie) vient de légiférer : peines de 6 mois de prison pour ceux qui quittent illégalement son territoire. La France soustraite et privatise le contrôle aux frontières. D’après I’ANEF et RESF, elle facture 5 000 euros à Air Burkina pour chaque passager non admis.

Les orientations présentées par la Commission européenne

Le 17 juin 2008, elles décident une politique d’immigration conçue en fonction de ses seuls besoins. Dans le même temps, le parlement européen approuve la « directive du retour » qui est devenue la « directive de la honte ». Elle porte à 18 mois la durée possible de détention en vue de l’éloignement. Elle porte à 5 ans l’interdiction du territoire européen.

Les mineurs même non accompagnés peuvent être exclus et éloignés vers un pays tiers qui n’est pas le leur. Ainsi, les étrangers en situation irrégulière deviennent des criminels. Les centres de rétention (CRA) reçoivent aussi bien des malades, des femmes enceintes que des victimes de tortures et des enfants de différents âges. Des enfants ont subi ces traitements : aujourd’hui, ils doivent avoir des soins pour troubles psychiques.

Le père Dominique Lebrun, évêque de St Etienne, attentif à la situation des migrants

L’immigration : vie privée et vie familiale

Un étranger veut faire venir sa famille, un Français veut faire venir son conjoint étranger, les liens personnels et familiaux : la 4e loi en 4 ans vise à durcir la lutte contre l’immigration « subie » et plus spécialement l’immigration familiale.
Le projet ministériel a perdu quelques dispositions plus controversées parce que discriminatoires ou irréalisables. Restent cependant les principales dispositions. Ceci est un exemple de la politique d’annonce très fréquente. En 2007, 1 339 dossiers ont été traités par l’OFPRA. Pourtant, le Conseil d’État, dans un arrêt du 8.12.1978, a élevé le droit à une vie familiale normale comme un principe général du droit français.
En ce domaine comme dans d’autres, la durée de traitement des dossiers est variable. Mais retrouver un ou des enfants, rejoindre des parents après une vie bien souvent très difficile est souvent une aventure. Le droit de vivre en famille reconnue par la Convention européenne n’a pas seulement un aspect juridique ou administratif.

La demande d’asile

Peut-être est-ce utile, avant de replonger dans les statistiques, d’écouter l’extrait d’un témoignage pour se souvenir que derrière les lois, décrets, circulaires, jugements, il y a des êtres humains qui souffrent. « Je m’appelle Oscar, je viens de République démocratique du Congo. Je suis arrivé à St Etienne en octobre 2004. J’ai été reçu par les services de l’État en même temps que Simon. Nous avons été abandonnés à notre triste sort, passant 4 jours et 4 nuits dehors, sur une place ou dans le hall des urgences de l’hôpital. »


Grâce à une association, ils trouvent un hébergement. « Les soucis qui rongeaient nos cœurs ne cessaient de grandir avec les longs délais de traitement du dossier pour la régularisation du séjour. Le rejet de ma demande d’asile par l’OFPRA a été très dur à supporter. Je l’ai reçu comme un coup de massue sur la tête. Personnellement, ce jour-là, je me suis couché et suis resté trois jours au lit… sans sortir, sans manger. » Après avoir été encouragé, Oscar reprend les démarches. « À l’issue du traitement de mon dossier par la Commission des Recours, j’ai eu la chance d’être régularisé. Derrière la joie de cette régularisation se cachaient les grands soucis d’une vie d’isolé. Les difficultés pour obtenir un regroupement familial m’accablent chaque jour qui passe. Ce que doivent vivre au quotidien les enfants que j’ai dû laisser au pays me culpabilise et ne me donne aucun repos dans ma tête. » En 2008, Oscar a reçu sa famille.

Quelques chiffres. En 2007, I’OFRPA a pris 37 500 décisions et admis sous sa protection 13,1 % de premières demandes et 5,3 % en réexamen. Le pourcentage total d’admission (OFPRA et CNDA) est de 29,09 % avec 706 protections subsidiaires. Ainsi, au total, 8 781 personnes ont été placées sous protection.

La carte d’étranger malade

Force est de constater que des impératifs de « maîtrise » de l’immigration a aujourd’hui pris le pas sur les considérations de santé publique ; la remise en cause du dispositif de régularisation pour raisons médicales a été mise en route progressivement depuis novembre 2002 à cause du risque de « fraude généralisée ». Des fiches - pays ont été remises aux préfets donnant des informations sur les soins disponibles dans différents pays, sans tenir compte de l’accessibilité à ces soins.
Se borner à recueillir des chiffres inscrit le lecteur dans la logique gouvernementale qui a les yeux fixés sur les statistiques. Ils ne nous disent pas la détresse des déboutés, leur peur d’être arrêtés. « J’ai l’impression d’avoir foutu ma vie en l’air. En quittant mon pays, je pensais me reposer. Mais ici c’est pire. Au lieu de sortir du trou, je ne fais que m’enfoncer. » Appel général qui convoque notre solidarité.

Père André RAYMOND
(paru dans Présence Mariste N° 258, Janvier 2009)

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