Regards croisés

Deux élus disent leurs convictions qui les ont amenés à s’engager au service de leurs concitoyens (Présence Mariste N° 271, avril 2012)

À l’approche des prochaines élections, deux élus de sensibilité politique différente ont répondu aux questions de Présence Mariste, Louis Lévêque et Gilles Artigues. Ils ont dit quelles étaient leurs convictions et ont précisé les valeurs qui les avaient conduits à s’engager au service du bien commun.
M. Gilles Artigues
M. Louis Lévêque

[fuchia]Gilles Artigues est vice-président du Conseil Général de la Loire, chargé de l’éducation, de la jeunesse et des politiques urbaines, président de la fédération Loire du Modem et a été député à l’Assemblée Nationale de 2002 à 2007.[fuchia]

[fuchia]Louis Lévêque est adjoint au maire de Lyon, délégué à l’habitat, au logement et à la politique de la ville.[/fuchia]

[rouge]Présence Mariste[/rouge] : Selon les instituts de sondages, il semble qu’un très fort taux d’abstention soit à attendre lors des consultations électorales de cette année 2012. Si vous deviez convaincre un abstentionniste de se rendre au bureau de vote, que lui diriez-vous ?

Louis Lévêque - J’attirerais son attention sur ce que l’on a vécu en 2011 et ce qu’il est convenu d’appeler « le printemps arabe ». On a vu à quel point il était important pour ces peuples de gagner le droit de vote, quelle fut leur lutte, quels furent leurs sacrifices pour acquérir ce droit, parfois même au péril de leur vie. On mesure tout l’enjeu de la démocratie quand on en a été privé. Certes, elle ne saurait se limiter à l’exercice du seul droit de vote. Dans notre société française, elle implique des pratiques de concertation plus régulières. J’ai envie de dire que la démocratie ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.

Glisser son bulletin dans l’urne, devoir démocratique

Gilles Artigues - Je rappellerais d’abord une évidence. Le droit de vote a été durement acquis par nos anciens. C’est un devoir de s’en souvenir. Et puis, j’estime que celui qui s’abstient se prive du droit de critique. En ne votant pas, il accepte de facto ce que d’autres décident à sa place.

[rouge]Présence Mariste[/rouge] : Dans les pays tels que les nôtres, comment peut-on vivre la démocratie quand on a le sentiment que c’est l’argent qui dirige tout ?

Gilles Artigues - C’est plus qu’un sentiment, c’est une réalité. Face à cette omniprésence de l’argent, je pense qu’il convient d’abord d’être très strict sur la séparation des pouvoirs et de bien marquer les différences entre le politique, le financier, le médiatique…

Il est important en outre de revenir à la devise de notre République – Liberté, Égalité, Fraternité - ; elle devrait à elle seule fournir les valeurs auxquelles se référer, valeurs de combat et de solidarité.

On a besoin aussi de davantage de régulation. Dans cet ordre d’idée, l’Europe, peut, à mes yeux, jouer un rôle fondamental. C’est bien à l’échelon européen que l’on peut réguler les marchés financiers et élaborer les politiques utiles pour ne laisser personne au bord du chemin.

Ne restons pas indifférents à notre avenir !

Louis Lévêque - C’est précisément parce que le pouvoir de l’argent est très fort que l’expression des citoyens est indispensable pour réguler, réduire le seul critère de l’argent. Plus il y aura d’engagement démocratique, plus il y aura moyen de contrecarrer les forces économiques. Face à la crise de la dette, face aux agences de notation, ce n’est pas un mince enjeu que d’équilibrer le pouvoir économique par l’engagement citoyen, sinon le coût social sera considérable et les conditions de vie des plus modestes ne cesseront de s’aggraver. L’un des principaux enjeux des temps à venir c’est de restaurer la confiance dans la force collective des citoyens.

Le vote, premier investissement politique

[rouge]Présence Mariste[/rouge] : Pour vous, quel rôle l’école peut-elle (doit-elle) jouer dans cette éducation à la démocratie ?

Louis Lévêque - L’école a un rôle fondamental à jouer dans l’apprentissage de la citoyenneté. Dans les temps que nous vivons, l’institution scolaire me semble être le lieu où les jeunes doivent prendre conscience de ce qu’il convient de faire pour défendre l’environnement, pour sauver la planète. C’est là que naît leur conscience de citoyen désormais.

À l’heure actuelle, l’école dispense peut-être trop d’enseignements disparates. Sans doute gagnerait-elle à donner du sens aux contenus d’enseignement, à décloisonner les champs disciplinaires, à établir des passerelles entre les savoirs, à unifier.

Je me permettrai d’évoquer un souvenir personnel qui me semble aussi éclairer la question. En 1969, j’étais élève dans une institution religieuse de la banlieue sud de Lyon. Et, dans cette période post 68, le projet éducatif de l’établissement qui visait à nous responsabiliser, à développer nos capacités d’autodiscipline me semble avec le recul du temps une assez bonne voie pour former les futurs citoyens.

Gilles Artigues - Là encore, il faut revenir à des fondamentaux - exemple, l’impératif du « savoir lire, écrire et compter » à l’entrée en 6e – et considérer que l’éducation est une priorité nationale. Le système éducatif est moins performant qu’il ne le fut. Certes, il ne saurait être question de surenchère mais on doit tenir un langage de vérité.

Nous devons maintenir impérativement les moyens accordés actuellement à l’Éducation Nationale. Mais au-delà de la question des moyens, il faut aussi restaurer la confiance entre le monde enseignant et le Gouvernement.

Dans ce qu’il convient de transmettre aux jeunes, je tiens pour important qu’on leur inculque d’une part le sens de l’effort et de la gratuité dans un monde qui ne les conduit pas spontanément vers ces valeurs et d’autre part qu’on sache valoriser la réussite à leurs yeux.

[rouge]Présence Mariste[/rouge] : Personnellement, lorsque vous vous êtes engagé en politique, au nom de quelles valeurs l’avez-vous fait ?

Gilles Artigues - Je ne m’en suis jamais caché, c’est au nom de ma foi chrétienne que je me suis engagé en politique. Les valeurs qu’on m’a inculquées dans les divers établissements catholiques de Saint-Etienne où j’ai étudié ou travaillé (N. D. de Valbenoîte, Saint-Michel…) ont largement contribué à cet engagement.

Mais le déclic fut un discours du Pape Jean-Paul II qui m’a beaucoup marqué. Le Souverain Pontife faisait observer qu’il ne suffit pas de critiquer sans cesse les hommes politiques et leur action et il concluait ses propos par la formule « Engagez-vous ! », c’est ce que j’ai fait. Tout ceci est ma motivation profonde.

Ensuite, mon action quotidienne vient se situer dans le fonctionnement de notre laïcité à la française. Mon désir est surtout d’être très présent sur le terrain auprès des gens de toutes origines et de prendre à bras le corps les questions sociales, de servir ceux qui n’ont pas de relations. J’ai envie de dire que l’homme politique est la relation de la personne qui n’a pas de relations.

Les foules, symboles d’engagements parfois trop éphémères

Louis Lévêque - Au nom des valeurs de justice sociale. Très vite, j’ai pensé qu’il fallait mettre l’humain au cœur de l’économie et non l’inverse. Mon éducation familiale d’abord, religieuse ensuite m’avaient prédisposé à ce mode de pensée. En famille, où l’on m’a enseigné les valeurs chrétiennes, on m’a inculqué qu’il ne saurait y avoir de foi sans action. Puis, tout au long de mon parcours, au Lycée, à la JOC, dans l’engagement syndical et enfin dans mon mandat politique, je n’ai cessé d’être indigné par les inégalités sociales criantes que l’on peut observer. Mon action consiste, dans le cadre du collectif à faire ce que je peux pour les réduire.

[rouge]Présence Mariste[/rouge] : Quelles réflexions autres aimeriez-vous formuler sur cette idée de la démocratie, étant entendu que le lectorat de Présence Mariste est essentiellement constitué de parents d’écoliers, collégiens ou lycéens ?

Louis Lévêque - Au début de notre entretien, vous évoquiez le risque d’abstention forte lors des prochaines consultations électorales. On peut redouter aussi le vote extrême.

D’où l’importance, me semble-t-il, pour faire face à ces maux de la démocratie, de reconstruire le politique en lien plus étroit avec le citoyen.

Au sein de nos collectivités, dans tout ce que l’on construit, il faut un dialogue permanent entre les citoyens, les techniciens et les élus, en portant une attention toute particulière aux catégories les plus exclues de notre société, en sachant les solliciter, en « allant les chercher » pour les faire participer.

La démocratie n’est jamais chose achevée ; nous sommes tous en apprentissage, dès l’école qui a un rôle essentiel à jouer pour éveiller chez les jeunes leur conscience de citoyens.

Gilles Artigues - Je formulerais simplement un souhait : que les jeunes s’investissent généreusement en politique ! Qu’ils ne se laissent pas abuser par des slogans trop faciles mais qu’ils prennent le temps d’étudier sérieusement les projets que leur présentent les partis politiques.

J’observe en effet que, parfois, aujourd’hui, des jeunes s’engagent un temps, puis abandonnent. Ils zappent.

C’est dommage. On a besoin d’engagement durable, persévérant.


Propos recueillis par Michel CATHELAND
(Publié dans Présence Mariste N° 271, avril 2012)

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