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Quand l’enseignement était une œuvre de charité et une profession libérale

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Ce n’est guère qu’à la fin du XVIIIe siècle que l’Etat revendique son rôle d’éducateur. Après l’interdiction des congrégations en 1903, les Frères et Sœurs sécularisés sont intégrés dans un enseignement diocésain. (Présence Mariste n°291, avril 2017)

F. André Lanfrey

Nous sommes tellement habitués à voir l’Éducation Nationale comme un des attributs majeurs de l’État que nous imaginons mal un temps, pas si lointain, où il n’assumait guère cette fonction. En effet, ce n’est guère qu’à la fin du XVIIIe siècle qu’il revendique un rôle éducateur et l’université impériale (1806-1808) affirme un monopole de l’État sur l’enseignement, encore très incomplet. L’éducation des filles n’appartient pas à l’Instruction Publique et, par ses séminaires, l’Église est en mesure de concurrencer les lycées napoléoniens et les collèges municipaux.

Ruralité et école

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En milieu rural, l’enseignement élémentaire continue d’être assumé par les paroisses. Dans bien des cas il n’y a pas de local scolaire mais un maître-sacristain-chantre, écrivain public ; et secrétaire de mairie s’il sait écrire. Il enseigne catéchisme et lecture pendant l’hiver avant la première communion des garçons vers 12 ans. Dans les lieux écartés, des maîtres ambulants venus des Hautes Alpes, nommés « Dauphinois » ou « Briançonnais », passent de ferme en ferme ou enseignent en des lieux d’occasion durant l’hiver. Certains enfants reviennent à l’école après leur première communion pour se perfectionner en lecture, et apprendre l’écriture si le maître est capable de l’enseigner. Pour les familles un peu plus ambitieuses existe un réseau informel de « pédagogies », « petits collèges », institutions, initiant à l’écriture, à une culture élémentaire et au latin, des élèves souvent pensionnaires nommés « caméristes » (de camera = chambre). Des curés et vicaires tiennent des « écoles presbytérales » pour préparer des candidats aux petits séminaires.

En fait, aux niveaux secondaire et supérieur, l’instruction publique relève de l’État et en partie de l’Église, tandis que les communes se chargent du niveau élémentaire. Tout au long du siècle, se maintient un enseignement « libre laïque » d’institutions indépendantes et de précepteurs assurant une éducation de qualité très variable. D’ailleurs, avant 1880, un tiers des écoles des Frères Maristes sont privées.

Le projet éducatif de Marcellin Champagnat

Méthode de lecture

Il a connu une bonne partie de ce réseau peu structuré mais relativement efficace. Il a appris le catéchisme et la lecture à l’école de garçons de Marlhes, tandis que les filles étaient éduquées au bourg par les sœurs de St Joseph. Dans quelques hameaux, les « béates », appelées « sœurs » sans être religieuses, forment les filles à la lecture, au catéchisme et à la rubanerie. Marcellin a refusé d’aller à l’école après sa première communion mais un peu plus tard il deviendra camériste au « petit collège » de son beau-frère à Saint-Sauveur-en-Rue, avant d’être pensionnaire au petit séminaire de Verrières (1805-1813) puis au grand séminaire St Irénée à Lyon (1813-1816). C’est parce qu’il estime que l’enseignement élémentaire qu’il a reçu est inefficace qu’il fonde les Frères Maristes à partir de 1817. Son but est d’offrir, aux communes pauvres, des « frères » (mot alors plus ou moins équivalent de maître d’école) peu coûteux, et compétents grâce à la pratique de la méthode simultanée.

La question du coût de l’enseignement

Les curés acceptent mal que les Frères ne soient pas pleinement sous leur seule autorité, mais les communes recherchent capacité et gratuité. Aussi, les créations d’écoles communales des Frères Maristes reposent souvent sur des montages financiers variables : fondations charitables, subvention communale, rétributions scolaires payées par les familles aisées. Les Frères, en 1824, demandent 1200 F. pour trois Frères et 1000 F. pour deux en plus d’un local convenablement meublé, avec jardin et cour de récréation. A cette époque un manœuvre gagne environ 1 F. par jour. Mais les communes offrent fréquemment des locaux mal adaptés et paient avec retard. Les rétributions scolaires, quand elles sont perçues par les Frères, leur causent bien des tracas. Après 1830, chaque fondation est garantie par un contrat entre Institut et commune âprement discuté. Celle-ci doit payer une prime de fondation qu’elle cherche à faire réduire au maximum. Pour éviter les embarras, l’Institut exige que la rétribution scolaire soit perçue par la commune. Les élèves « forains » (des communes voisines) acquitteront une rétribution supérieure. Quant aux « besaciers » ou « caméristes » venant en hiver des hameaux éloignés, ils logent à l’école en semaine, mangeant les provisions apportées de chez eux, et paient directement aux Frères une somme modeste. Assez souvent, quelques pensionnaires bénéficient d’un traitement plus soigné et plus coûteux. Les frères surveillent les élèves à l’église et jouissent de places gratuites. Ils perçoivent de petites sommes pour le chauffage et les fournitures scolaires (plume, encre, papier). Le jardin leur permet de se nourrir à peu de frais.

De l’école publique à l’école « libre »

Peinture murale à La Valla, représentant une classe au 19e siècle
Photo F. Giorgio Diamanti

Après 1850, les communes perdent progressivement leur liberté de choix des maîtres. Et les lois laïques de 1881-86, en éliminant les congréganistes de l’enseignement public, achèvent le processus de contrôle de l’Instruction publique sur l’enseignement élémentaire. Il reste aux congrégations à offrir leurs services aux comités d’enseignement catholique, présidés fréquemment par les curés et constitués de notables, qui créent des « écoles « libres ». Il faut donc négocier de nouveaux contrats moins favorables car les comités sont parcimonieux et exigeants. Et il faut soutenir la guerre scolaire contre l’école publique épaulée par l’administration.

Le temps des instituteurs publics et privés

Frère en école primaire dans les débuts (Tableau de M. CREPIN à La Valla)
Photo F. Giorgio Diamanti

La politisation de l’enseignement n’empêche pas l’effacement de l’espèce d’ancien-régime scolaire évoqué ci-dessus : plus guère de besaciers ni de caméristes mais des externes, des demi-pensionnaires et des pensionnaires demeurant à l’école toute l’année scolaire. Écoles publiques et privées ont à peu près les mêmes méthodes, même si leurs personnels sont rivaux. Après l’interdiction des congrégations en 1903, les Frères et sœurs sécularisés sont intégrés dans un enseignement catholique diocésain qui perpétue, contre l’État, la tradition caritative et libérale de l’enseignement.

Après 1960 ce régime scolaire dominé par l’État centralisateur se heurte à une société moins disposée à accepter cette tutelle. Un nouveau contrat éducatif entre État et société se cherche.

F. André Lanfrey
(Publié dans « Présence Mariste » n°291, avril 2017)

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