Laïcité : L’enseignement du fait religieux en France aujourd’hui

Pourquoi parler de « fait religieux » et non de « religion ». Quels sont les enjeux d’une telle entreprise ? Qu’en est-il dans l’enseignement public et dans l’enseignnement catholique ?

L’expression « enseignement du fait religieux » s’est imposée en France depuis quelques années, notamment à partir du rapport de Régis Debray remis au Ministre de l’Education nationale en mars 2002 et des orientations qui l’ont suivi immédiatement .
Dans l’Enseignement Catholique, la création au SGEC (Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique) de la mission « Enseignement et religions » en juin 2002, la présentation officielle de ses travaux lors du Colloque national de mars 2005 et la récente mise en place de ses coordinateurs diocésains ou régionaux, ont aussi fortement contribué à la diffusion de cette nouvelle notion.

Pourquoi parler de « fait religieux » et non de « religion » ?

L’expression « enseigner les religions à l’école » risque d’évoquer l’enseignement confessionnel réalisé par les ministres des cultes ou par des « professeurs de religion » dûment mandatés par les autorités religieuses.
Nous sommes alors dans une perspective confessionnelle.
Par contre, « enseigner le fait religieux » renvoie à la dimension culturelle. L’enseignement du fait religieux est nécessairement pluraliste -il traite des différentes religions - et non confessionnel : il aborde les religions en tant que faits de civilisation a déclaré Jack Lang en présentant le rapport Debray.

Le fait religieux est un fait social, observable par tous, croyants et incroyants.
Cet enseignement laïc, c’est-à-dire non confessionnel, est de la responsabilité de tous les enseignants qui peuvent l’aborder dans l’enseignement de leur discipline, en rapport avec le programme.
Il consiste en effet à réintroduire le fait religieux dans la culture générale au même titre que le fait artistique ou le fait scientifique.
Il n’est par conséquent pas nécessaire d’être croyant pour dispenser cet enseignement, en tout cas ce n’est pas à ce titre que l’enseignant intervient. Son seul titre de légitimité étant celui de sa compétence disciplinaire.

En abordant le fait religieux, les enseignants n’introduisent pas subrepticement des croyances ou de l’irrationnel dans leurs cours, ils le font avec la méthode scientifique propre à leur discipline et n’ont pas à suspendre pour un temps leur démarche rationnelle. Cette approche scientifique écarte nécessairement tout référentiel confessionnel.

Quels sont les enjeux d’une telle entreprise ?

C’est d’abord un enjeu culturel et donc humaniste. La culture générale, qui doit ouvrir à l’universel, c’est-à-dire à la connaissance de notre commune humanité dans ses différentes composantes, s’appauvrit considérablement lorsqu’elle se trouve amputée de la dimension religieuse.
Les élèves deviennent alors analphabètes et incapables d’effectuer une lecture intelligente des œuvres du patrimoine artistique ou littéraire.

La prise en compte du fait religieux dans l’enseignement des différentes disciplines apporte des clés de lecture en ce domaine et réalise une ouverture des esprits par des rencontres constructives dans la découverte de la religion et des richesses culturelles de l’autre.

On peut percevoir, à partir de là, que l’enjeu est aussi social et politique, car cet enseignement peut favoriser chez les élèves l’accès à la tolérance dans le vivre ensemble, grâce à la connaissance et à la valorisation des cultures étrangères et de leurs religions.

Autun : tympan sur le jugement dernier

Face à la progression des fondamentalismes et des communautarismes, cet enseignement de type critique et rationnel représente un enjeu considérable. L’étude critique des textes, la prise en compte des genres littéraires, la critique historique des documents, permettent de prémunir les esprits à l’égard de la crédulité et des lectures simplistes et fondamentalistes.

Qu’en est-il dans l’enseignement public ?

La nécessité de cette prise en compte du fait religieux dans l’enseignement scolaire a été réaffirmée à plusieurs reprises depuis le rapport Debray.
Le "Rapport Stasi", remis au Président de la République le 11 décembre 2003, et la Circulaire d’application, en date du 18 mai 2004, de la Loi N° 204-28 du 15 mars 2004, sur les signes religieux ostensibles, donnent aussi des indications précises et complémentaires en ce domaine.

La mise en œuvre de ces orientations se réalise de façon inégale selon les académies et les établissements. Des journées de formation pour les enseignants sur la prise en compte du fait religieux dans l’enseignement des disciplines sont organisées dans le cadre de certains IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres).
L’Institut européen des religions propose régulièrement des séminaires de réflexion sur ces questions à Paris. Enfin des Colloques, où intervenaient les meilleurs chercheurs en Sciences des religions, ont été organisés par la DESCO à l’intention des corps d’inspection de l’Education Nationale .

Et dans l’Enseignement Catholique ?

De très nombreux établissements ont mis en place des heures libérées pour des cours de « Culture religieuse », mais il apparaît nécessaire d’en réorganiser les contenus et de les articuler davantage sur les enseignements disciplinaires.

Les enseignants peuvent désormais bénéficier d’un ensemble d’outils pédagogiques (textes de réflexion, séquences pédagogiques, dossiers, bibliographies) sur le site de la Mission « Enseignement et religions » : www.enseignement-et-religions.org.
L’accès aux documents est facile et se fait selon plusieurs entrées : discipline, vie scolaire, niveau d’enseignement, religion, thème.

Statue de Virupaksha (temple hindou à Hampi -Inde

La sensibilisation et la formation des enseignants demeurent toutefois une urgente nécessité. L’Institut de Formation pour l’Etude et l’Enseignement des Religions (IFER) organise chaque année deux sessions nationales d’une semaine où les intervenants, tous professeurs d’université, font bénéficier les stagiaires des résultats de la recherche dans le domaine des sciences religieuses. Ils leur donnent accès aux problématiques spécifiques de cette recherche : historique, exégétique, linguistique, anthropologique. Ces sessions ont réuni à ce jour 2 500 enseignants.

Les enseignants qui le souhaitent peuvent poursuivre ce cursus de formation jusqu’au Diplôme d’Université Sciences et Enseignement des Religions, actuellement de niveau Maîtrise, et devenir ainsi « personne ressource » au service de leur établissement ou de leur Tutelle.

Pour le Secrétaire Général de l’Enseignement Catholique, cet enseignement du fait religieux, qui doit concerner tous les élèves et tous les enseignants, s’inscrit dans la spécificité du projet de l’Enseignement Catholique :
« Il ne s’agit pas pour nous de proposer une sorte de »libre-service des religions« , mais de relier, parce qu’elles sont complémentaires, une connaissance des religions, non pas seulement pour elle-même mais comme itinéraire d’intériorité, et une proposition explicite de Jésus-Christ et de son Evangile. »

Bernard DESCOULEURS

(Publié dans « Présence Mariste » n°248, juillet 2006)

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