« Allez dire aux captifs qu’ils sont libres ! »

Témoignage : devenir aumônier de prison, pourquoi ? Ce que cela m’a apporté. Et nous, que pouvons-nous faire ? ( « Présence Mariste » n°242, janvier 2005)

Mais qu’est-ce que vous allez perdre votre temps avec des détenus, vous feriez mieux de vous occuper des victimes !!!

Que de fois ai-je entendu cette réflexion, même de la part de bons amis, bien sous tous rapports. Et parfois sans qu’elle soit exprimée en paroles je sens bien dans les regards combien elle est présente.

Que répondre ?

Depuis bientôt 4 ans que je participe à l’équipe d’aumônerie à la prison de St Quentin Fallavier, j’ai 2 réponses à faire à qui s’offusque de mon engagement : "Les victimes, elles sont dans la rue, dans le quartier, dans le village, au supermarché du coin, et tout le monde les côtoie : quel regard, tous, portons-nous sur elles, est-ce un soutien pour elles ou un jugement de plus de l’opinion publique comme on dit ?

Deuxième réponse :

Si je suis à l’aumônerie de prison et que à ce titre je peux entrer à l’intérieur de ces murs et rencontrer des détenus, c’est parce que l’Eglise, par la voix de son Evêque, me donne la mission de leur « dire qu’ils sont libres ».

Non, il ne s’agit pas de subtiliser les clés qui tintinnabulent aux mains des surveillants, mais bien de donner aux détenus les moyens de se libérer d’eux-mêmes, de leur passé, lourd à porter, de leur présent dur à supporter, de leur avenir difficile à projeter.

« On nous enferme tellement dans notre passé qu’il semble qu’il n’y ait plus d’avenir possible. On nous empêche de nous projeter dans l’avenir : ton passé te poursuit toujours ». (La peine et le pardon 2001).

Combien de détenus avez-vous convertis ?

Combien parmi les détenus que je rencontre lors des groupes bibliques du samedi matin ou des célébrations du dimanche se sont-ils convertis, je ne sais, mais je sens parfois combien sont perceptibles de petites évolutions, de petites révolutions dans la vie de ces hommes dont l’âge va de 18 à plus de 80 ans.

Mais il n’y en a qu’un dont je sois sûr qu’il s’est converti, c’est moi-même. Oh bien sûr il ne s’agit pas d’un changement complet de direction, mais nous savons bien tous que la vie est faite de multiples redressements, réajustements et rectifications de parcours. Et la fréquentation amicale de ces personnes détenues m’oblige à ajuster mes valeurs, à modérer mes jugements, à apprécier la vraie qualité de ceux que la société a parqués dans la prison.

« Il ne faut se faire d’illusion, de tous ceux que tu rencontres dans les groupes bibliques ou dans les célébrations, il n’y en a aucun que tu retrouveras à la messe du dimanche lorsqu’ils seront sortis » (parole d’un détenu).

Les relations d’un aumônier avec les personnes détenues sont nécessairement très personnelles ; comment peut-on parler pourtant d’équipe d’aumônerie ?

Oh oui, on peut et on doit parler d’équipe car dans ce domaine encore plus que dans d’autres, on ne peut pas se permettre de « jouer perso ». D’ailleurs comment oserions-nous encourager les personnes détenues que nous rencontrons à faire communauté d’Eglise à l’intérieur des murs de la prison, si nous-mêmes ne donnions pas le témoignage de l’aspect communautaire de cette même Eglise que nous représentons, envoyés que nous sommes par l’évêque. Nos amis détenus ont besoin de sentir cette appartenance commune et que nous ne venons pas proposer notre marchandise, mais donner sans compter accès à la parole et à la personne du Christ.

Pratiquement, que recouvre l’idée d’équipe ?

Si je prends la situation de l’aumônerie de Saint-Quentin-Fallavier, c’est original, mais l’équipe a existé avant l’aumônier. En effet lorsque, en 1990, a été annoncée la création d’une nouvelle prison dans le coin, cela a entraîné, comme ailleurs, des réactions de peur et de mécontentement, mais cela a aussi mis en route un groupe de personnes qui se sont réunies pour se demander ce que pourrait signifier l’existence d’une prison dans le paysage. Ces personnes se retrouvent 12 ans plus tard comme membres de « Totem », l’association d’accueil des familles, comme visiteurs ou comme membres de l’aumônerie.

A ce jour il y a 3 aumôniers catholiques : ils interviennent auprès des détenus, en cellules, en groupes, ou pour les célébrations dominicales. D’autres chrétiens entrent aux côtés des aumôniers pour participer aux célébrations avec les personnes détenues. Ils constituent ce que nous appelons l’équipe élargie. Notons que l’aumônerie est oecuménique puisque nous travaillons en accord avec un pasteur de l’Eglise Réformée et un de l’Eglise Evangélique.

Et nous, qui ne sommes pas de l’équipe d ’aumônerie,
qu’est-ce qu’on peut faire ?

Beaucoup de choses ! de petites choses. Par exemple, offrir un abonnement à une revue chrétienne, pour l’aumônerie (La Vie, Panorama, Prier, Pèlerin…), verser une petite somme pour l’achat de Bibles, d’Evangiles (en français ou autre langue) pour les détenus…

Mais surtout :

Eduquer son regard pour accueillir les victimes que nous connaissons. S’informer sur la réalité du monde carcéral où malgré le travail souvent admirable et compétent du personnel, trop rares sont encore les exemples de réinsertion réussie.

Et enfin, mettre tout en œuvre pour que dans nos paroisses, dans nos quartiers, dans nos entreprises, les anciens détenus soient accueillis et aidés pour qu’ils reprennent place au sein de notre société.

Lucien BROSSE, aumônier bénévole

(Publié dans « Présence Mariste » n°242, janvier 2005)

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