PM 295

Éducation, écologie et économie au XIXe siècle

Jardins, poulaillers et clapiers dans les écoles des Frères
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Moyen de délassement pour les Frères et invitation à prendre l’air sans sortir de chez eux, le jardin est aussi une ressource importante dans des communes qui les paient mal et le plus souvent en retard (Présence Mariste n°295, avril 2018)

F. André Lanfrey

Au début du XIXe siècle, la plupart des communes n’ont pas de local scolaire spécialisé. Le maître ou la maîtresse d’école « fait école » durant l’hiver dans une maison particulière, une chapelle, une chambre louée, une étable… Comme l’emploi est saisonnier et peu rémunérateur, il faut à l’enseignant des ressources complémentaires. Les enfants se récréent dans la rue.

C’est pourquoi, dans le prospectus de 1824, les Frères Maristes qui proposent leurs services aux communes, demandent non seulement de disposer « d’une maison convenable » meublée, mais « d’un jardin et quelque autre lieu de récréation pour les enfants ». Un nouveau prospectus en 1840 exigera que l’ensemble école-cour-jardin soit suffisamment vaste « le tout clos et indépendant autant que possible ». Même si les communes sont longtemps réticentes à dépenser pour l’éducation, sous l’impulsion des congrégations et de l’État, l’école va devenir un espace pédagogique autonome, à côté de la mairie et de l’église.

Des ressources complémentaires non négligeables

Même quand une partie du jardin sert à l’extension d’une cour où sont établis « les lieux » (toilettes) pour les enfants, le potager garde toute son importance. Moyen de délassement pour les Frères et invitation à prendre l’air sans sortir de chez eux, il est aussi une ressource importante dans des communes qui les paient mal et le plus souvent en retard. Issus du monde rural, c’est tout naturellement que les Frères tendent, surtout quand le jardin est assez vaste, à établir un poulailler, un clapier, des ruches, plus rarement une porcherie ou une vigne. Ils s’entourent même parfois d’animaux familiers (chiens, chats, oiseaux…) dont l’utilité économique est moins évidente.

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Il n’est pas facile de concilier ces activités avec celles d’instituteur et de religieux à l’emploi du temps chargé. Ainsi à Boën, dans la Loire, en 1874, le visiteur reconnaît que le jardin et la vigne sont une ressource mais qu’ils nuisent à la piété, à la régularité et aux études ; l’office du soir et la lecture spirituelle, sans compter les préparations des leçons, sont négligés. En 1879, il faut remplacer le directeur de Sorbiers (Loire) qui s’occupe plus du jardin des Frères et du curé que de sa classe. C’est le même problème à Château-Gombert près de Marseille, en 1872 et en bien d’autres lieux.

Priorité à donner à l’enseignement plutôt qu’au jardinage

Intérêt économique et pédagogique
Phto FMS

Ne pouvant ni ne voulant interdire les jardins, les supérieurs s’attaquent aux basses-cours et clapiers, surtout à partir de 1860 car le F. Louis-Marie, nouveau Supérieur général, cherche à professionnaliser plus nettement la congrégation et à rétablir la discipline religieuse. À Saint-Romain-en-Jarez (Loire), en 1863 le visiteur (Frère inspecteur) désapprouve encore modérément : « Les Frères ont des poules, des lapins, des cochons de mer (d’Inde) ; je suppose qu’ils ont permission d’élever tout ce bétail ». Mais en 1869 il est plus net : « Ne plus tenir de poules. Trois ruches sont plus que suffisantes ». Et un peu partout les rapports de visites donnent l’ordre de se débarrasser des poules et des lapins.

Les visiteurs ont fort à faire : en 1865 l’un d’eux note que les Frères de Saint-Etienne-de Saint-Geoirs (Isère) « ne peuvent avoir toutes les poules et tous les oiseaux du globe ». De même à Genas, au nord de Lyon en 1864 : « La règle n’aime pas les lièvres, les renards, les poules, les perdrix, les cailles, les rossignols, les alouettes, les merles ». C’est presque pareil à Bagé-le-Châtel (Ain) où le visiteur trouve vers 1865 canaris, chardonnerets, tourterelles, pigeons, poules, canards. Encore en 1875, à Saint-Didier-sous-Rochefort « C’est un peu l’arche de Noé : chien, chienne, chats, oiseaux, poules, lapins, cochons, etc… ». À Saint-Maurice-sur-Loire en 1876, le jeune Frère cuisinier « est assez occupé par la cuisine, le jardin et le soin de ses poules, lapins et oiseaux de toutes sortes. C’est un vrai éleveur de bêtes ».

Même quand l’élevage est plus limité il n’est pas sans inconvénients : à Sury-le-Comtal, en 1872, le F. directeur « s’occupe trop de ses poules, de ses pigeons et de ses lapins ». À Châtillon-en-Diois « le directeur se récrée avec poules, lapins, pigeons, au déplaisir de ses confrères ». À Tulette (Drôme) en 1846-1854, les trois Frères « munis chacun d’un assez grand sac, allaient les remplir d’herbe dans les champs tous les jeudis et les dimanches (malgré le repos dominical) pour nourrir des lapins ».

Les poules et les lapins font donc partie des abus les plus fréquents et difficilement déracinables, censés nuire à l’efficacité pédagogique de l’école et à la vie spirituelle. Le visiteur à Courpière (Puy-de-Dôme) en 1869 en donne une définition laconique : « Les poules, les cartes (à jouer) et le journal sont de reste ici ».

De nouveau, la nécessité économique se fait sentir

Jardinage, activité importante à l’Hermitage
Photo fms

Mais à partir de 1880, les écoles publiques sont massivement laïcisées et les Frères doivent se replier sur des écoles libres qui paient aussi chichement que les communes de la première partie du XIXe siècle. Les ressources annexes reprennent donc de l’importance comme à Mainsat (Creuse) où les Frères se maintiennent dans une école libre jusqu’aux décrets Combes de 1903 en partie grâce à « un jardin et un champ, bien plantés en arbres fruitiers, dont la superficie totale est d’environ 1450 m2, ce qui leur permettait d’élever des lapins et des poules en quantité, d’où avec les fruits, la possibilité de faire des économies assez sérieuses ».

Au fond, en dehors des nécessités économiques, ces activités, reconnues fort importantes pour l’équilibre personnel, n’étaient pas sans intérêt pédagogique et pouvaient permettre une bonne intégration des Frères dans une société encore très rurale. On peut même y percevoir un côté franciscain, particulièrement net chez le F. François, premier Supérieur général, qui, à N. D. de L’Hermitage, ne voulait pas que les Frères dérangent les oiseaux nichant dans la propriété.

Ceci dit, ce rapport à la terre et aux animaux est loin de toujours s’opposer à une professionnalisation et une soif de connaissances de nombreux frères autodidactes comme le F. Euthyme géologue et botaniste ; le F. Philogone, architecte ; le F. Dacien, horloger ; le F. Pémen, inventeur d’un système empêchant les trains de dérailler ; le F. Emmanuel qui met au point l’Arquebuse de L’Hermitage… Mais c’est un autre sujet.

F. André Lanfrey
(Publié dans « Présence Mariste » n°295, avril 2018)

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