Mon parcours d’homme

Un beau témoignage : Robert BELLE, ancien élève des Frères Maristes, a accepté de retracer les grandes étapes de sa vie. (« Présence Mariste » n°247, avril 2006)

Robert BELLE, ancien élève des Frères Maristes, a accepté de retracer pour « Présence Mariste » les grandes étapes de sa vie. Né en 1938, dans le Morvan, il est aujourd’hui à la retraite et vit à Charnay lès Macon (71).

Un parcours peu linéaire à première vue, unifié cependant par ce qui pourrait bien être la réponse à un appel qui fait de chaque homme un être unique. Ce que Robert Belle appelle « son parcours d’homme » : celui d’un éducateur, désireux de mettre ou remettre debout ses frères en humanité.

Il est interviewé par Frère Gérard BAUDU, cadre d’éducation, au collège Ste Marie de Chagny (71).

Grâce à un oncle Frère Mariste

Frère Gérard : Robert, comment es-tu arrivé au pensionnat Notre Dame de Chagny ?

Robert Belle : C’était en 1949. Mes parents vieillissants eurent la visite d’un frère de ma mère : Jean Claude GUERIN, lui-même Frère Mariste.
Il venait du Liban où il fit toute sa carrière avant de venir finir ses jours à Varennes sur Allier (03). Avec sa barbe, son regard vif, son air serein, sa réserve naturelle et bienveillante, il conseilla à mes parents de ne pas me laisser seul sans mes trois frères et mes deux sœurs, tous plus âgés que moi. J’avais alors 11 ans. Le hameau où nous habitions dépendait d’un petit village comportant une école de deux classes, située à 2 km 500 ; nous étions sans moyen de locomotion.

Un match de volley-ball, au Pensionnat Ste-Marie de Chagny dans les années 70

Mon oncle se soucia de mon avenir et proposa à mes parents de parler de moi au Frère Directeur du collège Sainte Marie de Chagny (71), pour me prendre en qualité de pensionnaire.

Frère Gérard : Quels souvenirs gardes-tu de ton séjour au pensionnat ?

Robert Belle : Mon adaptation comme pensionnaire fut sans problème. J’aimais cette nouvelle vie en groupe où nous étions bien encadrés toute la journée où l’on s’intéressait vraiment à chacun d’entre nous. Etudes, loisirs, sports, vie sociale et vie spirituelle étaient très animés et suivis, dans une ambiance de confiance réciproque. Tout cela faisait que nous avions le goût de devenir comme les Frères Maristes : des enseignants et des éducateurs.

Frère Gérard : Es-tu resté longtemps à Chagny ?

Robert Belle : En fait quelques mois seulement. Mon vieil oncle, Frère Mariste, suivait mon évolution avec attention. Compte-tenu de mon âge, de ma situation familiale, il me conseilla d’aller au Juvénat de Varennes sur Allier (03). J’y suis allé et y ai fait mes études jusqu’en 3e.

La maison de Varennes où se trouvait autrefois le juvénat

Frère Gérard : Est-ce là que s’arrête ton cheminement avec les Frères Maristes ?

Robert Belle : Oui. A la fin de la 3e on m’a proposé de poursuivre ma formation à St Genis Laval (69), mais je n’ai pas donné suite. Je me suis retrouvé dans le Morvan chez mes parents. Ce fut pour moi une période pénible. Je doutais de tout. Mes études étaient laborieuses. J’étais tiraillé entre profiter encore de l’excellente éducation que je recevais de la part des Frères Maristes et le retour sans avenir chez mes parents.

Le rude métier de bûcheron.

Les vacances d’été ne suffirent pas à me déterminer. Les Frères Maristes et mes parents respectèrent mes hésitations. Ce fut à la fois l’entrée brutale dans le monde du travail dans les bois comme aide bûcheron et la mauvaise conscience de quitter silencieusement le parcours constructif que les Frères Maristes me proposaient et que je connaissais bien.

J’avais honte de moi. J’avais profité au maximum de ce que me donnaient les Frères Maristes. Le travail à la campagne et en forêt me permettait à peine de survivre. Dans ma solitude, je pensais souvent à ce que j’avais vécu chez les Frères Maristes où j’existais vraiment en temps qu’individu et la grande solitude des bois, du travail pénible pour mes jeunes épaules et un sentiment de végéter sans avenir pour survivre seulement…

Séjour à l’armée.

Frère Gérard : Alors, que s’est-il passé ?

Robert Belle : Mon envie de vivre était la plus forte. Au Conseil de Révision et d’Orientation en 1957, lors de tests d’aptitude au service militaire, j’ai des résultats honorables. Je dis oui à tout ce qui se présente : les parachutistes, les EOR, les commandos. C’est le temps de la guerre d’Algérie dans les Aurès. Les embuscades, les missions dangereuses, rien ne m’est épargné. Je résiste, je survis malgré le refus de l’Armée de me faire suivre les cours d’élève officier pour des raisons injustifiées. J’ai vécu ce refus de l’Armée comme une injustice. J’avais travaillé dur pour y arriver et le résultat n’était pas au rendez-vous.

Frère Gérard : Si je comprends bien, après ton service militaire tu reviens à la « case départ » en quelque sorte en retrouvant ton travail de bûcheron ?

Robert Belle : C’est cela, du moins pour un certain temps. En effet, grâce à des rencontres de travail, un géomètre m’a demandé de l’aider à dégager des passages broussailleux pour qu’il puisse mesurer des parcelles de friches.

Dans les grands chantiers de travaux publics.

Je m’intéresse à ce métier et j’acquière très rapidement les connaissances nécessaires pour devenir aide géomètre, puis géomètre, puis chef de mission sur des grands chantiers de travaux publics. J’aime l’ambiance de ces chantiers, où tout doit être pris en compte : les hommes, l’organisation, le temps, le matériel…

Les conflits raciaux hiérarchiques sont courants. Il faut orienter, observer, encourager, apaiser, rassembler, revaloriser, dynamiser sans cesse pour créer des routes, des ouvrages d’art, des zones d’habitation.

Frère Gérard : Ton avenir semblait désormais tout tracé, pourtant un nouveau tournant se dessine. Que s’est-il passé ?

Robert Belle : En souvenir de mon passage chez les Frères Maristes, de leur approche de la jeunesse, de leur sens du partage pour revaloriser humblement toutes formes de progressions humaines et spirituelles, je désirais devenir éducateur.
Je rencontre le directeur de l’Ecole d’Educateurs Spécialisés de Dijon. Il me déconseille de faire la formation d’éducateur compte-tenu de mon âge et de ma situation professionnelle bien établie et me promet par contre, de me recontacter si une activité dans le domaine de l’éducation lui paraissait me convenir.

Directeur d’établissement pour gens dépendants de l’alcool et autres produits.

Il tint parole et quelques mois plus tard, avec son soutien, il m’est proposé d’être directeur d’établissements à créer pour des gens dépendants de l’alcool et autres produits. J’ai 33 ans, me voilà à Dijon avec un Conseil d’Administration où médecins, politiques, administratifs et financiers se rassemblent pour créer un centre de postcure et une entreprise de réinsertion : 130 lits d’un côté et 130 postes de travail de l’autre, de petites communautés, une école de vie pour apprendre à vivre dignement ensemble. C’est ainsi que j’ai fini ma carrière professionnelle en dirigeant et en développant tout cet ensemble.

Frère Gérard : A 60 ans, tu es retraité, comment envisageais-tu ton avenir ?

Robert Belle : Avec l’accord des miens, je suis parti faire le « chemin de Compostelle » fin février 1998, à pieds, sac à dos, en solitaire, durant deux mois.
Affronter ses peurs, ses doutes, assurer un quotidien solitaire ouvre largement sur le monde et particulièrement sur nos semblables.

Sur le chemin de Compostelle avec des détenus.

Cette expérience m’a tellement apporté que dès mon retour, j’ai désiré la partager avec des gens sortant de prison et en fin de peine. Après les démarches nécessaires, avec l’aide du monde de la Justice, des services Pénitenciers et de l’Association Jacquaire de Lyon, j’ai refait le « chemin de Compostelle » de Besançon à St Jean-Pied-de-Port, avec dix détenus volontaires, encadrés par dix anciens pèlerins volontaires. Le but : si tout se passe bien, nous nous engagions à les aider à trouver du travail et un logement.

Parole tenue, expérience réussie à 90 %, donc renouvelée déjà deux fois depuis juin 2001.Voilà ce qui constitue mon parcours d’homme.

Les Frères Maristes m’ont apporté l’essentiel de mon éducation. Par leur manière d’être, de partager et d’enseigner. Par la qualité de leur pédagogie, ils m’ont conduit subtilement à donner un sens à ma vie par l’écoute, le respect, l’encouragement et le partage avec mes semblables.

Je leur dis encore merci aujourd’hui. Tout n’a pas été facile tous les jours, mais à chaque épreuve, je me suis rapproché de leur idéal pour agir, partager, pour réussir ensemble.

Frère Gérard :
Merci, Robert, pour ce témoignage plein d’espérance.


Paru dans « Présence Mariste » n°247, avril 2006 (avec quelques titres et illustrations supplémentaires)

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