Un ardent missionnaire : Frère Gabriel Robbe (1889-1970)

Homme de forte personnalité et de vaste culture, il incarnait le missionnaire accompli. Il a passé plus de 50 ans en Chine. (« Voyages et Missions » n°110, mai 1971).

C’est au lendemain de sa retraite annuelle à Saint-Genis-Laval, le 19 août 1970, que le Frère André-Gabriel ROBBE nous a quittés, à la suite dune attaque cardiaque qui ne le surprit pas, car, depuis longtemps, il se préparait à ce grand départ, comme il ne cessait lui-même de le rappeler à son entourage.

Originaire de La Planée, petite commune rurale du Doubs, où il naquit le 30 septembre 1889 (juste deux ans avant la fondation de notre première école française à Pékin), il commença par goûter aux travaux des champs, en compagnie de ses parents, jusqu’au moment où il entre au Juvénat d’Ecole. Il termine sa formation mariste en exil, à San Maurizio Canavese (Italie), par suite des lois anticongréganistes de 1903.

Très tôt il demande à partir pour l’Extrême-Orient — il a alors 18 ans — où la nouvelle Province de Chine, qui sera érigée canoniquement l’année suivante, en 1908, est alors très florissante, et c’est à Pékin qu’il prononcera ses vœux perpétuels, le 24 juillet 1910.

Il se révéla très vite un éducateur hors pair

Très doué à tout point de vue, religieux exemplaire, Frère André-Gabriel se révéla vite un éducateur et un supérieur hors pair, comme en témoigne éloquemment son « curriculum vitae » : tour à tour sous-directeur et directeur des grands collèges franco-chinois (Pékin Nantang, Hankow, Moukden, Shanghai), il est ensuite, pendant dix-huit années pratiquement consécutives, Supérieur Provincial, d’abord de la Chine intérieure (1938-1947 et 1950-1954), puis, après l’expulsion, de la Province reconstituée de Chine extérieure (1954-1959). Il terminera son long séjour de plus de cinquante ans dans cet immense Empire du Milieu (« Tchong Kouo »), par le poste de directeur du collège de Negombo, à Ceylan, dépassant un millier d’élèves.

Il a passé plus de cinquante ans en Chine

Il est inutile de préciser que cette lointaine et mystérieuse terre de Chine, dont il avait acquis une connaissance approfondie ainsi qu’une parfaite maîtrise de la langue, était, pour le Frère ROBBE, toute sa vie et toute sa passion. Homme de forte personnalité et de vaste culture, il incarnait le missionnaire accompli, dans toute l’acception ancienne du terme, ardent, énergique, apôtre infatigable, voué corps et âme à la propagation de l’Evangile.

Partir là-bas était une aventure
dont on ne revenait pas toujours

Dans l’élan généreux de sa jeunesse, il avait fait tout simplement le sacrifice total de sa vie, ratifié par ses parents. Partir là-bas, si loin de la civilisation occidentale, pour affronter des mentalités, un langage et des traditions hermétiques, était véritablement une aventure dont on ne revenait pas toujours.

Le douloureux souvenir de l’insurrection et des massacres des Boxeurs en 1900 n’était pas effacé, et le monde entier se souvenait encore du siège tragique du Peitang où 43 soldats et les membres de la Mission catholique, dont huit Frères Maristes, défendirent, deux mois durant, 3.500 réfugiés très démunis et atterrés : plusieurs des nôtres, les FF. Jules-André (Visiteur), Joseph-Félicité, Joseph-Marie Adon, le Postulant Paul Jen avaient courageusement versé leur sang, ainsi que de nombreux enfants de notre orphelinat de Chala.

Six ans plus tard, donc un an avant le départ du Frère ROBBE, s’était déroulé le plus triste épisode de l’histoire de notre Province chinoise : le massacre, par des émeutiers, dans des conditions particulièrement pénibles, des cinq Frères de la Communauté de Nanchang, établie en 1903. Apprenant la nouvelle, Pie X dira simplement : « Ils sont au ciel puisqu’ils ont sacrifié leur vie pour leur foi ». C’est bien dans ce climat à la fois dramatique et exaltant, digne des premiers siècles du christianisme, où le désir d’apostolat lointain était si fort, qu’il faut replacer le départ de tant de Frères (près de deux cents entre 1900 et 1940) pour la Chine, qui accorda à plus d’un la palme du martyre.

Après avoir largement contribué à l’épanouissement de nos belles œuvres maristes, auxquelles collaboraient une centaine de confrères chinois, Frère André-Gabriel allait, à son tour, avoir le triste privilège d’assister, le cœur meurtri, à leur ruine totale, sous les violences révolutionnaires des années 50, et même de procéder à leur évacuation complète, dans des conditions très difficiles. Enfin, pour couronner un demi-siècle de dévouement, il eut l’insigne honneur de passer huit mois dans les prisons de Shanghai afin d’y recevoir des cours de « rééducation » selon l’esprit et les méthodes de la Chine Nouvelle. Finalement, Frère ROBBE est expulsé d’un pays où il a, malgré tout, laissé son cœur.

Une suprême consolation lui est laissée cependant : celle de guider, à travers l’Insulinde,Hong-Kong et le Japon, la résurrection d’une nouvelle Province d’Extrême-Orient, créée avec une belle intrépidité par les Frères chinois et européens qu’il avait aidés à franchir le « rideau de bambous ».

Il a écrit un historique très complet
de la Mission Mariste de Chine.

Mais, peu à peu, miné par les travaux, les soucis, l’âge et la maladie, il demande à rentrer et se dévoue à la Maison Généralice de Rome, avant de rejoindre, après une sérieuse alerte, sa Province d’origine. Il se fixe à Notre-Dame de Bellegarde(Neuville-sur-Saône), où, loin d’être inactif, il s’emploie à diverses tâches de secrétariat tout en achevant la rédaction d’un historique très complet de la Mission Mariste de Chine. Sa mémoire prodigieuse, sa nombreuse correspondance et ses archives personnelles d’ancien Supérieur, sont ses principales sources pour cet ouvrage de 300 pages, dont les derniers chapitres, vécus dans tous les détails, furent pour lui une vraie torture.
En 1968, il publie aux Editions Marie-Médiatrice de Genval, une belle plaquette sur celui qui fut, à deux reprises, son supérieur et aussi son subordonné : le Frère Marie-Nizier MOREL (1879-1963).

Tel fut cet homme exceptionnel, qui jamais ne chercha à faire parler de lui, mais se donna sans réserve à ses accablantes tâches. Quant au religieux, sa devise personnelle, exigeante, austère, le dépeint tout entier  :« L’homme ne vaut que par le sacrifice ». Dans son désir de vouloir toujours donner le maximum de lui-même, il confiait, en songeant à ses anciens confrères de Malaisie :" Ah ! si j’avais vingt ans de moins ! Quel bonheur ce serait pour moi de les rejoindre !… .

Mais c’était à la rencontre ultime que le Maître l’appelait, à 81 ans, Lui qui a proclamé :
« Heureux êtes-vous, si les hommes vous haïssent, s’ils vous frappent d’exclusion, s’ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme, à cause du Fils de l’homme…, car votre récompense sera grande dans le ciel »
(Luc VI, 22).

C’est ainsi qu’exilé à 20 ans, spolié, emprisonné et banni à 70 ans, parce que fidèle à l’appel du Christ et de Marie, Frère André-Gabriel ROBBE pouvait, en toute confian-ce, espérer en la béatitude promise.

Frère Paul BOYAT

(Publié dans « Voyages et Missions » n°110, mai 1971)

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