PM 302

Défi du quotidien dans une société religieuse et violente

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La connivence sacré-violence demeure un fait majeur dans nos sociétés, que celles-ci s’affichent religieuses ou non. Rappel de la vie et de la spiritualité d’Henri Vergès, victime de la violence en Algérie. (Présence Mariste n°302, janvier 2020)

Le choix de cet extrait de Robert Masson nous rappelle que la connivence sacré-violence demeure un fait majeur dans nos sociétés, que celles-ci s’affichent religieuses ou non. L’expérience de frère Henri Vergès est là pour nous le rappeler, lui qui a vécu dans la société algérienne les années noires du terrorisme, et a été assassiné sur son lieu de travail : une Bibliothèque mise au service des jeunes étudiants d’Alger.

Un chrétien dans la maison de l’islam
Livre Masson sur Henri Vergès

Au dos d’une image à la mémoire de frère Henri, on lit ce texte de ces notes intimes.
« Parce qu’il y a un dessein mystérieux de Dieu sur le peuple de l’Islam, […] nos cheminements en Dieu ne peuvent que converger. […] Dieu envoie son Église à tous les peuples de l’univers, (comme) simple présence qui se purifie, qui se laisse interpeler par la Parole et qui interpelle, qui se libère et qui libère, qui laisse à Dieu les choix des moments pour une révélation plus explicite de l’Évangile de son Fils cheminant avec tout homme en ce monde. […] Je me dois d’être adoration, présence auprès de Lui, au nom de ce peuple, point de convergence de tout ce qui se vit autour de nous, ici et maintenant. »

Une vie de pauvre

Henri était l’un de ces adorateurs qui sont la grâce présente de l’Église d’Algérie. Le Christ fut tout pour cet homme qui allait comme s’il voyait l’invisible. […] Henri était vraiment un disciple et cela rend compte de l’homme qu’il fut dans l’humilité de ses jours et la conscience de ses limites. Il était pauvre et le resta. Mais de cette manière qui vaut toutes les richesses du monde. […]

Quand les proches sont entrés dans la chambre d’Henri, après sa mort, ils ont été frappés par le dénuement de l’endroit. Seule la présence d’un transistor et d’un Coran la distinguait de celle du père Champagnat… Son accompagnateur spirituel lui avait laissé pour consigne : « Ne demande rien, accepte tout  ». Il en avait fait l’une de ses résolutions après une retraite. […] « La vraie liberté, disait A. Frossard, est celle qui donne la faculté d’aimer. En ce sens, la liberté religieuse n’est que le nom de guerre de la charité. » Henri avait relevé pour lui-même cette citation qu’il n’avait pas retenue par hasard car elle définissait bien ce petit Frère de Marie qui ne gardait rien pour lui.

Éveiller la vie

Éducateur aux mains nues, il fut éveilleur d’âmes, un de ces êtres qui hissent les autres au plus haut d’eux-mêmes, à ces hauteurs où Dieu nous établit tous. Parce qu’il était un hôte dans la maison de l’Islam, Henri en avait le plus grand respect. Les désaffections religieuses qu’il ressentait dans la jeunesse n’étaient pas pour le réjouir. Pas plus d’ailleurs que les usages homicides qu’on pouvait faire du nom « très saint ». « Dieu est grand » : Henri en était convaincu. Mais cette grandeur-là n’autorisait à ses yeux aucune violence faite à autrui. Au vu de son meurtrier, il semble qu’Henri ait d’abord songé à lui tendre la main. Il est mort en état de stupeur, ce qui lui est conforme. […] « Dieu est tout, je ne suis rien, disait-il. » « Mort de Jésus, modèle de ma mort ».

Ici et maintenant, prendre le parti de l’amour

Henri confiait un jour à l’un de ses amis. « Sais-tu qu’un extrémiste aujourd’hui, s’est joint à moi et m’a déclaré avec violence : Tout ce que tu racontes n’a de sens que si tu affirmes ta foi musulmane. Voilà l’énoncé de ce que tu dois dire…Répète-le tout de suite, allons dis-le ! » Je n’ai évidemment pas accepté cet ultimatum […] .

Cultiver le sens de l’autre dans son jardin intérieur
photo fms

Mon interlocuteur m’a quitté alors, furieux et menaçant. Je te confie cela, disait Henri, pour que tu saches qu’il pourrait m’arriver quelque chose de funeste. […] Cette violence verbale en annonçait d’autres qui ne s’en tiendraient pas à ces deux meurtres dans une bibliothèque ouverte à tous.

L’image qui définit le mieux cet homme, c’était probablement celle du consentant. […]
« Dans nos relations quotidiennes prenons ouvertement le parti de l’amour, du pardon, de la communion contre la haine, la violence, la vengeance »
[…]
Sa vie ne s’explique que par sa capacité de s’en remettre à un Autre, son Maître et Seigneur, qui était son seul répondant. (p 62-65 ; Henri Vergès, un chrétien dans la maison de l’Islam ; Robert Masson )

Une vie, comme un jardin intérieur pacifié

« Personne ne pensait que quelqu’un chercherait à supprimer Henri. Sa mort fut ressentie par tous comme un choc brutal, une violence injuste, une perte irréparable ;
Ce n’est pas sa mort dramatique qui fait d’Henri un saint, mais sa fidélité journalière à ses devoirs d’homme, de citoyen, d’éducateur, de chrétien, de religieux. […] Sa mort est comme un sceau qui authentifie les pages écrites jour après jour d’une vie modeste et généreuse, bien remplie, celle d’un vrai témoin de l’Évangile.

Dieu est tout, je ne suis rien
photo F. Pere Borras

Service, joie, simplicité, piété mariale, foi, dévouement, humilité, […] sont les principales facettes de son visage spirituel. Henri était un religieux exemplaire, obéissant […] Sa foi et son espérance furent admirables, invincibles.
Il croyait en Dieu, il croyait en l’homme tout entier même défiguré par le mal, chez les jeunes en Algérie. Il croyait en l’avenir, pourtant tellement assombri par cette guerre fratricide. Sa charité était en éveil, attentive, souriante, active, secourable. […]. Il voulait que toute personne soit une recherche dans la foi, le cœur, la personne et la vie de l’autre ; une recherche de la vérité, de la joie et de l’amour personnifié en Jésus Christ. »
(idem, p. 132, livre de R. Masson, citation de F. Michel Voute)

Propos recueillis par Marie-Françoise POUGHON
(Publié dans « Présence Mariste » n°302, janvier 2020)

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