Les Frères de Valbenoîte

Article du Fr Pierre Zind, tiré de la série : "Sur les traces de Marcellin Champagnat. IV - Les Frères de Valbenoîte (Présence Mariste n°170, 1er trimestre 1987

L’année 1822, si riche en événements pour la Société de Marie, est surtout connue des historiens comme celle du déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens par J.-F. Champollion. Elève de l’école privée de l’abbé Dussert à Grenoble, Champollion maîtrisait dès l’âge de 13 ans le latin, le grec et l’hébreu ; il y ajouta rapidement l’arabe, le syriaque, le chaldéen et le copte.

A 23 ans, il découvrait que le serpent à cornes représentait la lettre « f » au sens de la troisième personne, et donc que les hiéroglyphes étaient phonétiques et non symboliques, comme on le croyait depuis des siècles. Cinq ans plus tard, l’Anglais Young identifiait correctement cinq autres hiéroglyphes phonétiques et déchiffrait partiellement les cartouches de « Ptolmis » et de « Brnikat » (Bérénice).

Champollion, qui s’exerçait à transcrire le hiératique en hiéroglyphe, constata au début de 1822 qu’il avait imaginé d’écrire le nom de « Cléopâtre » tel qu’on venait de le découvrir sur l’obélisque de Philae, et découvrit bientôt l’existence des hiéroglyphes déterminatifs. Le 22 août, il présentait à l’Académie son traité sur le démotique et l’antique langue égyptienne.

Terre cuite de Fr José Santomarta 1980. Musé Champagnat. Rome

Après avoir déchiffré le 14 septembre le cartouche de Ramsès, puis celui de Thoutmès, il présentait le 27 septembre 1822 sa « Lettre à M. Dacier, relative à l’alphabet des hiéroglyphes phonétiques », qui, après 15 siècles d’oubli total, ouvrait à l’Histoire l’un de ses domaines les plus fascinants et spirituellement les plus riches. Mais cette découverte capitale échappait alors complètement aux Petits Frères.

1. Jean-Baptiste Rouchon (1761-1844) et André Coindre (1727-1826)

Né dans le Velay (Haute-Loire), à St-Just-Malmont, un bon quart de siècle avant le Bx Champagnat, J.-B. Rouchon reçut le sacerdoce en 1785. La Révolution le surprit comme vicaire à Saint-Romain-de-Popey (Rhône) où il refusa de prêter le serment et émigra en Italie, notamment à Rome, avant de rentrer au pays natal vers la fin du Directoire.

Il trouva refuge à Jonzieux, paroisse limitrophe de Marlhes, puis desservit le Chambon-Feugerolles, avant d’être nommé desservant de Valbenoîte, à proximité de Lavalla, en 1803. Pour une dizaine de Sœurs de St-Joseph, il acheta le 12 juin 1817 les bâtiments d’une antique abbaye cistercienne établie en 1184. A l’imitation du Bx Champagnat, il pensa y adjoindre une congrégation de Frères Enseignants, et dans ce but, il avait réuni sept jeunes gens, qui suivirent avec dévotion la Mission paroissiale prêchée par les Missionnaires de la “Société de La Croix de Jésus”, fondée en 1816 par le vicaire général de l’archevêché de Lyon, Claude-Marie Bochard. Parmi eux, André Coindre déployait un zèle remarquable.

Or, en 1817, pour s’occuper des fillettes abandonnées à Lyon, André Coindre avait rassemblé autour de Claudine Thévenet une « Association de Dames des Saints Cœurs de Jésus et de Marie ». La famine qui sévit cette année l’amena à adopter encore une demi-douzaine d’adolescents qu’il abrita dans une cellule de l’ancienne Chartreuse du Saint-Esprit, maison généralice de la Croix de Jésus. Dès lors, il souhaita également de son côté créer une congrégation de Frères pour se dévouer aux pauvres jeunes gens. Finalement, en 1820, il trouva un local adéquat au « Pieux-Secours », au-dessus du Fort St-Jean, et trois bons maîtres de travaux manuels : Arnaud, Porchet et Mélinond.

C’est à cette époque, qu’au cours de la Mission à Valbenoîte, le P. André Coindre rencontra le groupe de l’abbé Rouchon. Or, la Société de la Croix de Jésus, à la suite de M. Bochard, son fondateur, se montrait hostile à la multiplication de petites congrégations qui poursuivaient des buts identiques. Tout naturellement fut proposée une association entre les candidats du P. Coindre et ceux de l’abbé Rouchon.

Comme la “Grande Retraite d’Auray” avait consommé en 1820 la réunion des Frères de Gabriel Deshayes avec ceux du V. J.-M. de La Mennais, une retraite « aux Chartreux » de Lyon débuta le 24 septembre 1821 pour matérialiser la fusion des sept postulants de M. Rouchon avec les trois du P. Coindre. Elle s’acheva le 30 septembre 1821 par un pèlerinage à N.D. de Fourvière, où, après la communion, les nouveaux religieux s’engagèrent par vœux privés, pour trois ans, au service de Dieu dans l’instruction et l’éducation de la jeunesse ; ils reçurent, avec un nom de religion, comme Règle provisoire, celle des « Dames des Saints Cœurs de Jésus et de Marie » (actuellement « Congrégation de Jésus-Marie »). Leur costume comportait une culotte aristocratique, un carrick et un haut-de-forme.

ancienne église de Valbenoîte

Durant encore trois semaines, le P. Coindre s’efforça de suppléer par des entretiens à un noviciat inexistant ; puis distribua cinq obédiences pour les deux établissements du « Pieux-Secours » à Lyon et l’école de garçons à Valbenoîte. Mais avant de repartir en missions, il confia la petite congrégation à son frère, l’abbé François-Vincent Coindre.

2. Frères de Valbenoîte et Frères de Lavalla

Le nouveau prêtre supérieur n’avait point l’envergure du P. André Coindre, et contrairement à la fusion des Frères bretons, où un traité délimitait les droits respectifs du P. de La Mennais et du P. Deshayes, rien n’était prévu pour les relations entre le « Pieux-Secours » lyonnais et Valbenoîte : J.-B. Rouchon gouvernait à sa guise le groupe de la Loire, sans tenir compte des besoins de l’œuvre dans le Rhône, au grand déplaisir du P. André Coindre. Une correspondance aigrelette arrangea si peu les difficultés que dés Noël de cette même année 1821, la scission des deux groupes devint effective : six religieux, dont Frère Borgia, rallièrent les Coindre à Lyon (Congrégation des Frères du Sacré-Cœur), et quatre, l’abbé Rouchon à Valbenoîte.

Cette dernière communauté atteignit pourtant la bonne dizaine de membres à la fin de l’hiver, mais elle se trouvait exposée à de nombreux froissements par suite d’un manque de formation religieuse. Aussi, pour sauver son œuvre, M. Rouchon pensa la fusionner avec celle du Bx Champagnat, et dans cette éventualité, décida une rencontre entre ses Frères et ceux de Lavalla.

C’était en mai 1822, quelques jours après l’irruption de l’inspecteur Guillard (P.M. 1986/2, n° 167, ch. LII) et surtout après l’arrivée des nombreux postulants du Velay, logés et nourris avec des moyens de fortune (ch. XLIX et L). De cet événement n’existe qu’un seul témoignage, celui d’un participant de 15 ans, attentif et avisé, J.-B. Furet (Fr. Jean-Baptiste).

Père André Coindre

En 1856, il notait dans sa « Vie de Joseph-Benoît-Marcellin Champagnat » que M. Rouchon :
vint, avec une dizaine de ses sujets, faire une visite à M. Champagnat, à Lavalla. Mais, quand les Frères des deux Communautés furent en présence, il fut visible aux uns et aux autres que l’union n’était pas possible. Le Noviciat de Lavalla se composait de jeunes gens simples, ignorants, grossièrement habillés ; le bâtiment, l’ameublement et la nourriture, tout était pauvre, tout annonçait une vie de privation et de sacrifices. Les Frères de Valbenoîte, au contraire, en habits bourgeois, avaient une mise propre et recherchée ; ils paraissaient instruits, et ils avaient toutes les formes et les manières de la bonne société. Aussi, après avoir vu les Frères de Lavalla occupés à bâtir, après avoir visité le dortoir, la cuisine, le réfectoire, ils se retirèrent sans parler d’union. »

Après cet échec, et ayant eu connaissance de l’autorisation accordée par le gouvernement de Louis XVIII, le 5 décembre 1821, “aux Frères de la Doctrine Chrétienne du Diocèse de Stras-bourg”, l’abbé Rouchon écrivit à leur fondateur, Ignace Mertian, pour lui demander une aide ou une association. Or, curieusement, le « Maître des Novices » de ces Frères alsaciens était Louis Rothéa, de Landser, un Frère de la congrégation des Marianistes fondée par Guillaume-Joseph Chaminade, le 2 octobre 1817.

Dans sa réponse, Rothéa (Frèrej Ignace) demandait à l’abbé Rouchon des renseignements sur sa congrégation et le mit en rapport avec le Père Chaminade. Ainsi s’établit une correspondance entre le Forez et la Guyenne, où la “Société de Marie de Bordeaux” prenait la place de la « Société de Marie de Lyon ». (à suivre)

Pierre Zind fms

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