Une expérience de reconstruction

Interview de Joan Puig-Pey, architecte en chef, chargé de la rénovation de l’Hermitage

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Par tous les temps, l’architecte est à l’ouvrage

Présence Mariste  : Joan, qu’as-tu découvert à travers la réalisation de cette œuvre ?

Joan Puig Pey : [rouge]RÉNOVER[/rouge] des pierres, cela transforme la personne.
«  Je veux que le réaménagement de l’Hermitage permette de retrouver l’esprit de Champagnat » , m’avait dit le Frère Seán Sammon à Rome, en 2006 ; lorsqu’il m’a chargé du projet. « Je suis architecte ! Je construirai un bâtiment sûr, confortable, beau et respectueux de l’histoire, du lieu… Mais comment trouver l’esprit de quelqu’un qui n’y habite plus ?
La « métahistoire »… !

C’est alors qu’a commencé le passionnant voyage professionnel, humain et mariste. Le matin du jour de l’inauguration, tout en prenant le petit déjeuner, le Frère Seán me disait : « Ce matin, alors que l’Hermitage était plongé dans le sommeil, je me suis levé à 3 heures pour marcher sur les lieux. J’ai pu sentir que l’esprit du fondateur est là, aussi vivant et dynamique que lorsqu’il partageait les lieux avec François, Laurent, Louis-Marie, Jean-Baptiste et les autres… »

Il faut parfois ne pas se prendre au sérieux : Joan et frère Ton en compagnie de deux « rescapés » de l’ex-historial de l’Hermitage

Je partage cette expérience. L’Hermitage AUJOURD’HUI est plus qu’un reliquaire : la présence vivante de Champagnat, qui nous est donnée et nous transforme.

En quoi ce défi de rénover l’Hermitage t’a-t-il motivé ?

[rouge]TRAVAILLER[/rouge] à l’Hermitage a supposé de mobiliser le meilleur de moi-même, en tant qu’architecte, en tant que personne et en tant que mariste.
De tout mon cœur, de toute mon intelligence et de toutes mes forces. Mes sentiments et mon intérieur ; intelligence, imagination et sensibilité ; voyages, froid et chaleur, se lever tôt et veiller tard, menant une vie quasi monacale. Mais libre, fidèle à ma mission. En accord avec Dolors, mon épouse, et Jaume, mon associé. Trois « camps de base » (avec la « maison des sources ») qui ont permis l’inoubliable ascension au sommet, avec la certitude qu’une fois redescendu, je trouverais la table mise.

À travers les éléments d’architecture, qu’as-tu voulu que les visiteurs découvrent en venant à l’Hermitage ?

[rouge]DÉCOUVRIR c’est dialoguer[/rouge].
L’on découvre l’Hermitage en dialoguant avec lui. Avant de toucher à quoi que ce soit, j’ai observé. Le visiteur mariste (j’insiste sur mariste) venait et voyait un Symbole (le Bâtiment) dont il déduisait l’Objet (Champagnat). Pour certains, Bâtiment et Champagnat ensemble évoquaient un autre Symbole plus élaboré, le SEIGNEUR (Nisi Dominus… Ps 126).

Une claire structure « à trois » [1] En revanche, le visiteur non mariste établissait une relation duale, de connaissance logique, réelle mais plus pauvre. Le fil rouge était net !

Moi-même, comme architecte — et comme mariste — je me trouvais au point juste pour démolir, ordonner et harmoniser le Symbole et l’Objet, devenus flous par les interventions du XXe siècle. J’avais une base culturelle — et des relations — pour reconnaître et commencer à traiter l’information que j’allais trouver au moment de mettre la main sur les éléments dont je disposais. Et je connaissais, par le chantier mariste de les Avellanes [2] le pouvoir évocateur de mes outils sur les valeurs et les sentiments, ma maîtrise sur la représentation allégorique d’idées abstraites en ce genre de bâtiments. Il fallait travailler dur, dépasser l’histoire et le savoir qui s’y réfère, pour rencontrer le Symbole.

Les réunions du mercredi, indispensables pour la bonne marche d’ensemble du chantier

Quelles sont les lignes directrices qui t’ont guidé ?

[rouge]UNIFIER[/rouge] : démolir, ranger et refaire avec soin. Contraster pour y voir clair et ne pas confondre. Présenter les espaces comme des métaphores de vie. Donner des codes de lecture pour inviter les gens à découvrir ce qui ne se voit pas.

Le bâtiment original (1824) est sans valeur architecturale, sans prétention. La chapelle actuelle (1877), par contre, a ordonné et composé artistiquement la façade nord et a clos l’espace intérieur. Le Rocher (1898) a amélioré l’ensemble : simple, élégant, « architectural ». Proportionné, hauteurs étudiées : vides et pleins ; belles arcades en pierre naturelle ; détails de pierre taillée. Par contre, les constructions fonctionnelles du XXe siècle, déjà démolies, avaient créé confusion et désordre.

Le visiteur d’aujourd’hui, mariste ou non, comprend aisément le LIEU où il se trouve. Cela l’aide à trouver la sérénité et à faire taire son « agitation » intérieure. Il saisit l’unité par des messages brefs, clairs : le Rocher travaillé, symbolique, suggestif et présent sans s’imposer. La Lumière naturelle, tamisée et découpée.
Le jeu d’Espaces vides. Itinéraires différents. Symboles stratégiquement distribués. L’Eau et son murmure vital. L’absence de couleur. La Nature, dans le nouveau bâtiment. Tout invite à contempler et à se poser. Celui qui se repose entre dans un temps Autre , où tout est possible.

Maquette de l’Hermitage de 2010

En quoi ce chantier est-il original, spécifique ? Comment as-tu dû travailler avec d’autres architectes ?

[rouge]REMODELER[/rouge] une maison mère catholique n’est pas bâtir une HLM  ! Mes collègues, d’excellents professionnels, sont agnostiques. Ils m’ont toujours respecté même s’ils ne partageaient pas mes idées. Pour nous « accorder », il a fallu du dialogue, des métaphores (l’essentiel est invisible pour les yeux, nous disions-nous ). [3]
L’architecture a été notre lieu de rencontre ! Parfois je les exaspérais lorsque je demandais du temps pour réfléchir ou que je changeais les choses car « l’esprit du bâtiment me le demandait ». Malgré la pression, l’ouvrage a été une réussite.

Comment faut-il « interpréter » le nouvel Hermitage ?

Il revient à l’hôte ou au visiteur [rouge]d’INTERPRÉTER[/rouge] l’Hermitage !
En accord avec LA COMMUNAUTÉ qui l’accueille. Les deux en même temps. Moi j’ai conçu le projet en connaissant bien les futurs membres de la communauté ; ce qui a donné chair à la composition. Si l’hôte ne vient que pour apprendre, pour « savoir », il s’en ira déçu.
En guise de mot de passe, qu’il redise « MON CORPS  », petit à petit. Qu’il dise : « L’Hermitage est le lieu qui m’habite pleinement, que je porte dans mon corps ».
Qu’il tende la main à « LA COMMUNAUTÉ ». L’Agapè présent ! La Vie que vous portez et celle qui se trouve dans ce LIEU s’harmonisent, grâce aux mains de Marie, féminines et aimantes. Entendez-vous ? La mélodie éclate ! Ouvrez les yeux et regardez, laissez-vous toucher. Éveillez l’oreille, écoutez le silence, le Gier. Touchez tout : les pierres, les murs, le bois ! Parlez avec les mots que vous portez dans votre intérieur. Mangez  !
L’Hermitage est Pain de Vie.
Partagez-le avec la communauté qui vous accueille, sous le regard de Celui qui, réellement, a bâti la maison !

Propos recueillis par Frère Michel MOREL
(Publié dans Présence Mariste N° 266, janvier 2011) [/bleu]

[1cf. Charles S. Peirce, la sémiotique

[2Maison des frères maristes, de Catalogne

[3Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry

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