
À celui qui s’interroge sur l’image de la famille dans la Bible, une première surprise est réservée, c’est qu’il n’existe pas de mot hébreu pour désigner la communauté à laquelle nous songeons aujourd’hui, constituée d’un couple et de ses enfants. Deux termes sont utilisés : l’un englobe les esclaves, l’autre les ascendants et les descendants (la maison de David).
Difficulté à trouver le modèle idéal
Une deuxième surprise, c’est la diversité des situations familiales qu’il va rencontrer et la difficulté à trouver le modèle idéal. La rédaction de la Bible s’étend sur plusieurs siècles, du VIIe siècle av. J. C. au 1er siècle et elle est marquée par des cultures de régions allant de la Mésopotamie à Rome et de la Macédoine à l’Égypte et à l’Éthiopie. Abraham a deux fils de deux femmes différentes, en vertu du droit mésopotamien qui permettait à une épouse stérile de donner à son mari une servante pour avoir une descendance (Gn 16, 21). Les enfants de Jacob sont nés de Rachel et de sa sœur Léa, mais aussi de la servante de chacune d’elles (Gn 29-30). Le roi Salomon a la fille de Pharaon comme épouse, mais aussi “sept cents princesses pour femmes et trois cents concubines ? (1 Rois 11, 3).
Nous sommes loin de notre vision de la famille, mais aussi, souvent, loin de la famille idéale. La Bible nous dit comment Dieu habite notre histoire, faite d’ombre et de lumière. Elle le dit à travers des récits qui empruntent parfois le langage du mythe. Le premier couple accomplit la première transgression, s’affranchissant de l’interdit prononcé par le Créateur. Avec la première fratrie, celle de Caïn et d’Abel, et le premier meurtre, celui du frère, la tragédie entre dans le monde et dans ce que nous appelons du doux nom de “famille ?. Jacob acquiert le nom d’Israël et devient un des grands patriarches, après avoir trompé et son père Isaac et son frère Ésaü (Gn 27). Joseph, fils de Jacob et de Rachel, est jeté dans une fosse en plein désert par ses propres frères dévorés par la jalousie (Gn 37). Salomon, maître de sagesse, naît de Bethsabée et de David, après que celui-ci, roi d’Israël, eut fait tuer son premier mari pour pouvoir l’épouser (2 S 11-12). Il faut reconnaître que les personnages de la Bible ne sont pas toujours des gens très recommandables !

Que peut nous apporter, alors, la lecture de telles histoires de famille ? Certes, hélas, ces récits nous parlent de nous-mêmes, de ce dont l’humanité est parfois capable. Mais ils nous parlent aussi de Dieu. Ils nous disent que Dieu n’abandonne jamais sa créature et que, quels que soient les obstacles mis par l’homme, il ne renonce jamais à son dessein d’amour et de vie pour l’humanité. Adam et Ève doivent assumer les conséquences de leur acte, mais Dieu est là pour renouer le dialogue et, lorsqu’ils prennent le chemin de leur exil, le Seigneur les revêt de peaux de bêtes (Gn 3, 21). C’est lui aussi qui invite Caïn à mettre des mots sur le crime qu’il a commis et qui, devant la terreur du meurtrier à l’idée d’être à son tour tué, “mit un signe (sur lui) ? pour que personne ne le frappe (Gn 4, 15).
La Bible dit aussi combien le Seigneur aime la vie, celle qu’il a créée à profusion, comme en témoigne le premier récit de la création, dans lequel il ne cesse de bénir les êtres vivants, la bénédiction accompagnant le don de la vie et étant toujours exhortation à donner la vie : “Dieu bénit (l’homme et la femme) et Dieu leur dit : soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre ? (Gn 1, 28).
Dieu ne cesse de renouveler sa bénédiction, en particulier sur les patriarches, Abraham, Jacob. Nombreuses sont les généalogies dans la Genèse. Elles disent combien la plénitude surabondante de Dieu est fécondité, générosité. Les généalogies que Matthieu et Luc ont placées au début de leur évangile disent que Jésus lui-même s’inscrit dans cette longue lignée de familles. Matthieu introduit quatre noms de femmes étrangères ou qui enfantent dans des conditions irrégulières, suggérant ainsi que Dieu n’a pas hésité à habiter des familles qui ne répondaient pas aux codes établis et que ces irrégularités n’ont pas été un obstacle à son dessein de salut et n’ont pas empêché la naissance de Jésus. Et depuis cette naissance, toutes les naissances de tous les petits d’homme ne sont-elles pas, désormais, enveloppées de la grâce lumineuse de cette nativité ?

Le Dieu de la Bible nous apprend à être pères ou mères. Dans l’offrande qu’il lui est demandé de faire de son fils Isaac, Abraham n’apprend-il pas à se défaire d’un amour paternel trop possessif (Gn 22) ? La parabole du fils retrouvé (Lc 15, 11-32), en nous révélant que Dieu est un père dont l’amour pour les hommes est inconditionnel comme son pardon, nous dit ce qu’est l’amour d’un père ou d’une mère et, à travers l’exemple du frère aîné, les difficultés et les exigences de la fraternité. Cette fraternité, capable elle aussi de pardonner, nous la découvrons dans le pardon que Joseph, fils de Jacob, accorde à ses frères qui l’ont autrefois livré à une mort certaine (Gn 45). Nous la découvrons dans les larmes de Marthe et de Marie à la mort de leur frère Lazare (Jn 11). Humanité de la Bible, qui ne cherche pas à gommer les difficultés, même lorsqu’il s’agit de la famille de Jésus : celle-ci n’a pas été exempte de tensions à cause des choix de Jésus, qui invite à sortir des limites de la famille biologique pour s’ouvrir à des liens spirituels : “Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère ? (Mc 3, 31-35, cf. Mt 12, 46-50 ; Lc 8, 19-21).
Même si les récits de l’enfance s’intéressent d’abord au mystère de l’origine de Jésus, ils décrivent aussi l’allégresse de Marie attendant l’enfant promis (Lc 2, 46-55), la tendresse dont elle entoure le nouveau-né (v.7), l’amour délicat de Joseph pour Marie (Mt 1, 18-25), les difficultés surmontées par les jeunes parents pour que leur enfant échappe à la cruauté d’Hérode (Mt 2, 17-23), leur inquiétude à la disparition de leur fils de douze ans lors d’un séjour à Jérusalem (Lc 2, 41-52). Certes Paul ne rompt pas avec tous les codes d’une société patriarcale, mais c’est lui qui formule l’apport si important du message chrétien : “Maris, aimez vos femmes… ? (Eph 5, 25 ; Col 3, 19), ce qui n’allait pas de soi dans les sociétés antiques.
dans les vicissitudes de l’Histoire …
Ainsi, au cœur de la famille, il y a désormais l’amour, dont la Bible nous a montré la source dans le Dieu créateur, qui accompagne les familles humaines dans les vicissitudes de l’Histoire, jusqu’à se révéler comme Dieu Amour (1Jn 4, 8) dans une famille de Galilée.