Oser l’espérance, derrière les barreaux

Le Père Vincent Féroldi a bien voulu parler de son ministère en milieu carcéral et dire les réflexions que le thème de notre dossier. « Présence Mariste » n°277, octobre 2013)

Le Père Vincent Féroldi, prêtre du diocèse de Lyon, fut aumônier des prisons Montluc et Saint-Paul, deux des plus vétustes de France, au cœur de la ville. Depuis le transfert des prisons de Lyon en banlieue, il travaille désormais à celle de Lyon-Corbas, établissement ultra-moderne dans sa conception. Pour Présence Mariste, il a bien voulu parler de son ministère en milieu carcéral et dire à nos lecteurs les réflexions que le thème de notre dossier, Oser l’espérance, éveillaient en lui. Nous l’en remercions vivement.

Présence Mariste  : Depuis quand êtes-vous aumônier des prisons de Lyon ? Lorsque ce ministère vous fut confié, quels furent vos premiers sentiments, vos premières réactions ? Vos tâches antérieures dans le diocèse vous prédisposaient-elles à cette mission que l’on imagine difficile ?

Le Père Vincent Féroldi
© Vincent Féroldi

Vincent Féroldi : Voilà douze ans que j’arpente les coursives d’une maison d’arrêt. Rien ne m’y prédisposait. Qui plus est : quand il me fut demandé, en 2001, à mon retour d’un ministère de prêtre Fidei donum au Maroc, d’aller travailler au quartier « Femmes », je refusais, ne me sentant pas préparé à une telle tâche. De plus, j’avais peur de me retrouver derrière les barreaux avec des délinquantes…
Je m’y suis résolu par obéissance ! Heureusement, je rejoignais une équipe qui, peu à peu, me mit en confiance. Puis, rapidement, les numéros d’écrou et le bruit des clés se transformèrent en visages et en rencontres. D’un anonymat angoissant, nous passions à des itinéraires de vie partagés. Des êtres humains se rencontraient. Des chercheurs de Dieu ou de sens s’écoutaient et dialoguaient. Il y avait alors comme du dialogue en humanité et de la saveur d’Évangile.

P.M.  : Vous avez vécu la fin de la prison Saint-Paul, établissement séculaire et très délabré du quartier Perrache au cœur de Lyon, puis « essuyé les plâtres » de l’ultra-moderne établissement de Corbas. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez vu de positif ou de négatif dans ce transfert ?

V F  : Abandonner l’insalubrité et la promiscuité pour des locaux propres et avec un minimum de confort est un réel progrès. Sans oublier la possibilité de proposer du travail et de la formation à plus de 200 personnes détenues en permanence. Par contre, la taille de l’établissement et le renforcement des règles de sécurité ont accentué la perception de l’enfermement et de la solitude. Tous – détenus, surveillants et intervenants - vivons dans un stress permanent. Je pense aussi que la souffrance psychologue se perçoit plus.

Dessin réalisé par des détenus des prisons de Lyon
© Aumônerie catholique des prisons de Lyon

P. M.  : Fin octobre 2012, un journaliste du quotidien algérien El Watan vous avait interpellé en ces termes : « Comment l’aumônerie catholique a-t-elle vécu l’évolution de la population carcérale, avec notamment l’accroissement de prisonniers d’autres confessions ? » Que répondez-vous à cela ?

V F : La règle première d’un aumônier est de se mettre à l’écoute de la personne rencontrée. Nous sommes en ce lieu d’enfermement pour elle et non pour notre boutique. Je me mets à leur service. Aujourd’hui, au quartier « Hommes », une grande majorité des détenus est d’origine arabo-musulmane ; nous avons aussi un accroissement notable d’une population de confession orthodoxe. Je me réjouis donc de voir naître à Lyon-Corbas une cinquième aumônerie à côté des aumôneries israélite, catholique, musulmane et protestante. Le « vivre ensemble » et « l’entre-reconnaître » sont plus source de richesses que d’affrontement.

P. M.  : On peut imaginer que les profils des personnes incarcérées sont extrêmement divers. Pouvez-vous nous parler de leurs façons différentes de vivre leur détention, de leurs attentes, de leurs désirs éventuels de changement de vie, de réinsertion ultérieure ?

V F : Aujourd’hui, tout un chacun peut se retrouver en prison. Dès 13 ans ! Récemment, nous avions une personne âgée de 87 ans ! Toutes les professions se côtoient et dans une pluralité de nationalité. Un assassinat, un viol, une escroquerie, un vol à l’arraché ou un défaut de permis aura motivé votre incarcération. Une certitude : l’être humain n’est pas fait pour l’enfermement.
La détention sera donc d’autant plus difficile que la personne sera ou non en lien avec l’extérieur : famille, amis, visite au parloir, courrier…
Le temps est interminable. Heureux celui qui a été classé travailleur ou qui a trouvé assez d’énergie pour aller à l’école, au sport ou au cours informatique !

Dessin réalisé par des détenus des prisons de Lyon
© Aumônerie catholique des prisons de Lyon

P. M.  : Quand nous vous avons sollicité pour cet entretien, vous avez répondu très spontanément de manière positive. Et pourtant a priori, le thème de notre dossier Oser l’espérance ne va pas de soi, peut-on supposer, quand on est aumônier de prison, et a fortiori pour une personne qui accomplit sa peine… Il y a du paradoxe sous-jacent quand on juxtapose les mots prison et espérance, non ? Pourquoi avez-vous accepté de nous répondre ?

V F : Si l’espérance n’est pas là, au fond de notre cœur, mieux vaudrait alors rétablir la peine de mort et ne pas condamner des personnes à être des morts-vivants ! Je m’interroge sur le sens des longues peines : 15, 20 ou 30 ans. Que peut espérer la personne si elle a 40 ou 50 ans au jour de sa condamnation ? Croyons-nous vraiment en l’homme ? En sa capacité à se changer ?

La loi pénitentiaire de 2009 dit explicitement à l’article 1 :
« Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions »
.
Il est donc essentiel de mettre en application la totalité de l’article et de favoriser la réinsertion de la personne détenue. Certes, il faut punir. Mais la grandeur d’une société est de donner les moyens à chacun de grandir, de progresser, de s’ouvrir.

Dessin réalisé par des détenus des prisons de Lyon
© Aumônerie catholique des prisons de Lyon

Oser l’espérance, c’est pour moi ne pas réduire la personne au crime commis, tout horrible qu’il soit. Croire que chacun a au fond de lui, à côté de la petite espérance, des qualités, des talents, des capacités d’amour et de partage plus fortes que ses capacités de violence et de destruction.

Oser l’espérance, c’est se refuser au simplisme et accueillir la complexité de toute vie humaine. Prendre le temps de dénouer le fil d’une vie bien souvent blessée et chaotique. Discerner les fils d’or au milieu des autres.

Oser l’espérance, c’est accompagner le détenu sur un chemin où il va être en capacité de découvrir des lueurs d’espoir au-delà des ténèbres dans lesquelles il est plongé. Des exemples ? Éric réussit en prison son premier examen. Abderrahmane apprend à écrire et à compter. Vadim se découvre des talents de poète. Tel ou tel arrive, peu à peu, à sortir de sa dépendance à la drogue ou aux cachets.

Oser l’espérance, c’est cheminer avec celui qui, de la révolte et du déni, va passer, peu à peu, à l’acceptation de ce qu’il a fait, à l’assumer, à s’en reconnaître responsable et à entrer dans une vraie démarche de demande de pardon et si cela est possible, de réparation.

Oser l’espérance, c’est prier et célébrer, ensemble, hommes et femmes du dedans et du dehors. Être une seule Église où nous ne nous jugeons pas mais où nous nous sentons tous appelés à témoigner d’une même espérance enracinée dans le mystère du Christ : la Vie est plus forte que la mort, le pardon plus fort que la haine…

Oser l’espérance, c’est dire au libérable : « Bonne route ! Va de l’avant ! Ne reviens pas ! »

Propos recueillis par Michel CATHELAND
(Publié dans « Présence Mariste » n°277, octobre 2013)

Dans la même rubrique…

Mots-clés

Articles liés

Revenir en haut