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De la laïcisation à la désacralisation

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Pour s’en tenir au phénomène de désacralisation, il convient d’abord de se demander ce qu’est le sacré dans son rapport à la religion. Un texte biblique peut aider à une meilleure compréhension du sacré. (Présence Mariste n°302, janvier 2020)

Bernard Faurie

La laïcisation de nos sociétés occidentales, que l’on voit poindre dès le 18e siècle, a entraîné progressivement la perte du sens du sacré, ce qu’on appelle depuis peu la “désacralisation“, et une “décléricalisation“ dont l’effet le plus visible est la chute vertigineuse des ordinations sacerdotales. La pénurie de prêtres conduit à des regroupements de paroisses et à la désaffectation de nombre de lieux de culte.

Il se peut que revienne à l’esprit de certains chrétiens cette phrase inquiétante qu’on lit dans l’évangile selon saint Luc (18, 8) : “Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?“ Tenter une définition du sacré, j’en laisse le soin aux philosophes. Pour s’en tenir au phénomène de désacralisation, il convient d’abord de se demander ce qu’est le sacré dans son rapport à la religion. Un texte biblique peut aider à une meilleure compréhension du sacré.

L’affaire de l’arche d’alliance

On lit dans la Bible ce récit qui nous choque, voire nous scandalise, et nous plonge dans la perplexité. C’est au second livre de Samuel qui nous conte le retour de l’arche d’alliance qui avait été prise en butin par les Philistins. Les Philistins s’en débarrassent car elle leur a causé bien des ennuis. On a peut-être en mémoire le tableau de Nicolas Poussin représentant la “Peste d’Ashdod“ !

Tableau de Nicolas_Poussin: : La_Peste d’Ashdod

Plus tard, le roi David ordonne le transport de l’arche à Jérusalem. Et c’est au cours de ce transfert qu’éclate le drame. L’arche est installée sur un chariot attelé à des bœufs. Mais voilà que dans un chemin cahoteux, l’arche glisse du chariot. Pour la retenir “Ouzza fit un geste en direction de l’arche de Dieu et il la saisit, car les bœufs allaient la renverser. La colère du Seigneur s’enflamma contre Ouzza et Dieu le frappa là pour cette insolence. Il mourut là près de l’arche de Dieu“ (2S 6, 6-7).

Cette histoire tragique appellerait quelques commentaires. Ce que j’en retiens ici c’est que l’arche d’alliance, dans laquelle ont été déposées les Tables de la Loi, est considérée comme un objet sacré, comme un objet devenu tabou car consacré à la divinité. Il est interdit d’y toucher sous peine de sacrilège, un sacrilège puni de mort.

Une remarque : l’arche d’alliance n’est jamais nommée “arche sacrée“ mais “arche sainte“. Ce qui est surtout étonnant, c’est que cette arche, qui sera finalement déposée dans le temple construit par Salomon à Jérusalem, ne fera jamais plus parler d’elle. Il n’en est jamais plus question dans la Bible… La chose est tout de même surprenante : l’arche sainte ne contenait-elle pas les Tables de la Loi ? Que l’on s’en soit si peu soucié nous interroge. Elle n’a pas été en tout cas un objet dont le culte se soit imposé au long des siècles !

Dans la Bible, rien de sacré

Une chose est claire, qui peut surprendre : rien n’est dit sacré, ni dans l’Ancien Testament ni dans le Nouveau Testament ! Et pour cause. Ni dans la langue hébraïque de l’Ancien Testament, ni dans la langue grecque du Nouveau Testament, on ne trouve un mot qui signifierait “sacré“. Vous ne lirez jamais qu’il y ait une langue sacrée, des livres sacrés, une Écriture sacrée, des lieux sacrés, une Terre sacrée, un Temple sacré, une histoire sacrée, des jours sacrés, pas plus qu’une arche sacrée… mais une arche sainte, une langue sainte, des livres saints, une Écriture sainte, des lieux saints, une Terre sainte, un Temple saint, une histoire sainte, des jours saints, comme nous parlons de nos jeudi, vendredi et samedi saints de notre semaine sainte.

Moïse tenant les tables de la Loi - Peinture de Rembrandt

Les langues de la Bible disent toujours, en hébreu : “kadosh“ et en grec “Agios“ saint. Il est vrai que dans les traductions modernes de certaines de nos Bibles on peut lire parfois le mot “sacré“. Un exemple parmi beaucoup d’autres. Telle Bible traduit le verset 5 du chapitre 3 du livre de l’Exode : “ Le lieu que tu foules est une terre sacrée“. Mais ce sont bien les mots “Kadoch“, en hébreu, et “ ?gios", en grec, qui sont utilisés. Il aurait été préférable comme le font d’autres Bibles de traduire : “terre sainte“ La religion est d’abord centrée sur Dieu et non sur le sacré.

Notre Dieu n’est pas un Dieu “sacré“ mais un Dieu “saint“. Dieu se définit par sa sainteté. Le psaume 22 proclame : “Tu es le Saint, tu trônes, toi la louange d’Israël.“ Et nous avons emprunté au prophète Isaïe l’acclamation redite à chaque messe : “Saint, saint, saint, le Seigneur de l’univers“ (6, 3). Notre Dieu, bien qu’il soit transcendant, bien qu’il soit le “Tout Autre“, n’est pas un Dieu séparé de nous et de notre monde. La Parole de Dieu telle qu’elle se révèle dans nos Écritures s’adresse à toute l’humanité. On le voit bien dans l’Ancien Testament où Dieu se rend proche des hommes.

C’est “le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob“ dont parle Pascal. Puis il se rendra proche de son peuple, d’une présence indéfectible. Et en s’incarnant en la personne de Jésus-Christ, Dieu se rend historiquement proche de nous. Son culte n’est lié à aucun lieu : “L’heure vient que ce n’est ni sur cette montagne - celle du Garizim - ni à Jérusalem que vous adorerez le Père“ dit Jésus à la Samaritaine (Jn 4, 20). Un retour à la sacralisation ?

Jésus et la samaritaine
Studio Basset

Le sacré n’est pas à proscrire totalement. Je pense au culte du “Sacré-Cœur“ par exemple. Mais ce culte ne peut se comprendre que s’il ne se contente pas d’être extérieur, il faut qu’il s’accompagne d’un culte intérieur. La “désacralisation“ peut avoir un bon côté, celui de nous orienter vers un culte plus intérieur, de nous demander à quoi on croit finalement, quel est l’objet de notre foi et non pas de nos croyances. De même qu’aujourd’hui on parle de nouvelle évangélisation il faudrait aussi parler de “re-sacralisation“. En donnant priorité au culte intérieur il sera permis de donner sa juste place au culte extérieur. Et ainsi on pourra parler d’un “retour au sacré.“

Bernard FAURIE
(Publié dans « Présence Mariste » n°302, janvier 2020)

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