PM 300

Comprends-tu vraiment ce que tu lis ?

En préparant ce dossier spécial du n°300, le comité de rédaction de Présence Mariste, s’est posé la question : « Qu’a voulu Marcellin Champagnat pour répondre aux besoins des enfants de son temps ? » Il se demande aussi : « Comment répondre aujourd’hui aux préoccupations actuelles des parents, prendre en compte les besoins de la société actuelle ? »

Je me pose également ces mêmes questions en écrivant cet article, dans l’idée de raccorder le thème du dossier aux sources bibliques.

La question biblique pour les jeunes générations

Je pense surtout à ces textes de l’Ancien Testament qui doivent paraître bien mystérieux et difficilement compréhensibles à beaucoup de nos jeunes. Ils doivent être très perplexes devant cette littérature, et leurs parents bien démunis pour leur venir en aide. L’une des raisons en est probablement que dans notre société « éclairée et raisonneuse » ces textes souffrent de leurs obscurités.

Il est donc important et urgent d’accorder la foi avec la raison, en réinsérant la Bible, parole de Dieu, dans l’histoire. Le sujet est vaste et je me contenterai de montrer que ni la Bible ni notre foi ne sont en contradiction avec notre raison. Et pour cause : la foi et la raison sont pour nous, toutes deux, un cadeau de Dieu et en conséquence, Dieu ne saurait se contredire lui-même. En voici un bon exemple, celui du déluge universel, tel qu’il est raconté aux chapitres 6 à 9 du Livre de la Genèse.

Le déluge universel

Lu littéralement, ce cataclysme est absurde. Au 18e siècle, nos philosophes de « l’ère des lumières » avaient beau jeu de s’en moquer. Mais à l’époque de Voltaire on ne savait pas trop bien quand cette histoire avait été écrite, on connaissait peu ou mal cette Mésopotamie , où bien des textes bibliques ont vu le jour, ce pays entre les deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate, dont les inondations étaient catastrophiques, malgré les efforts des rois de Babylonie pour les endiguer. On connaissait encore moins les civilisations, les langues et les littératures mésopotamiennes. D’autre part, la perspective d’un déluge universel terrifiait bien des peuples, et ailleurs qu’en Mésopotamie, puisque les Grecs connaissaient le mythe de Deucalion et qu’aux Indes Krishna racontait qu’il avait sauvé l’humanité du déluge. Disons qu’on manquait d’outils pour comprendre et s’expliquer les textes bibliques. L’épopée de Gilgamesh

On a beaucoup mieux compris cette histoire invraisemblable lorsqu’on a découvert en Mésopotamie, en 1872, un récit de déluge dans l’Épopée de Gilgamesh, monument de la littérature mésopotamienne, où les scribes apprenaient à lire et à écrire. Cette très ancienne épopée était largement connue même en dehors de la Mésopotamie. On ne s’étonnera pas que les auteurs bibliques qui vivaient en Babylonie s’en soient inspirés. La comparaison entre la légende babylonienne et le récit biblique permet de mieux comprendre ce qui fait l’originalité du texte biblique et sa portée religieuse. Et les auteurs bibliques ont bien fait de s’en inspirer, car il s’agissait pour eux, en reprenant une légende bien connue de leurs lecteurs, de s’en démarquer pour leur montrer que le message biblique est fondamentalement différent.

Les différences sont caractéristiques. D’abord, dans la Bible, il est question du Dieu unique et non pas de plusieurs dieux. Si Dieu décide de faire périr les hommes, c’est à cause de leur perversion. Dans l’épopée babylonienne, les hommes sont insupportables et troublent la tranquillité des dieux, qui décident alors de les supprimer. Dans la Bible, Dieu lui-même prévient Noé du cataclysme, alors que dans Gilgamesh c’est l’un des dieux qui se rend coupable d’un « délit d’initié », si l’on peut dire, en vendant la mèche au héros de l’histoire, Outnapishtim. Entré dans son bateau, Outnapishtim en ferme la porte. Dans le récit biblique, c’est Dieu en personne qui ferme la porte de l’arche… Notez cette délicatesse divine, en contraste avec la cruauté des dieux mésopotamiens ! En action de grâce, Noé offre des sacrifices au Seigneur. Outnapishtim offre aussi un sacrifice. « Les dieux en flairèrent la bonne odeur ; les dieux se pressèrent comme des mouches au-dessus du sacrificateur. »…Les dieux mésopotamiens sont des voraces et des gloutons. Enfin Outnapishtim est mis au rang des dieux et bénéficie de l’immortalité. Noé reste un simple mortel. Le Dieu de la Bible est unique. Dieu est Un, il n’a pas de concurrents.

Des questions bien actuelles

Cet exemple montre comment les textes bibliques prennent sens, et que l’on peut mettre en accord la Bible, la foi et la raison. Il y a urgence de le comprendre et de s’en préoccuper.

Au début du siècle dernier, Alfred Loisy, bien qu’il fût prêtre, niait la divinité de Jésus. L’Église l’a condamné. Mais il avait bien conscience qu’il fallait « rendre le catholicisme acceptable aux esprits simplement cultivés, de cette culture élémentaire que reçoivent maintenant les enfants du peuple et qui ne s’accommodent plus de certaines assertions courantes, telles que la création du monde quatre mille ans avant Jésus-Christ, la longévité des patriarches, l’historicité du déluge, la confusion des langues et autres semblables. »

Sur ce point, qui dira que Loisy avait tort ? Il écrivait encore : « N’ont-ils pas tranché pour leur propre compte, et trop vite, hélas ! Le problème du Christ et le problème de Dieu, tous ces laïques instruits, qui, baptisés et élevés dans l’Église catholique, s’en éloignent quand ils ont atteint l’âge d’homme, parce que notre enseignement religieux leur paraît conçu en dépit de la science et en dépit de l’histoire ? N’est-ce pas déjà beaucoup faire pour eux que de montrer qu’on n’ignore pas leurs difficultés, qu’on ne méprise pas leur délicatesse d’esprit, que l’on pense à eux et qu’on voudrait frayer le chemin qui les ramènerait au bercail ? »

Sur l’urgence d’annoncer la bonne nouvelle de manière aujourd’hui compréhensible, les réflexions d’Alfred Loisy ne sont-elles pas toujours d’actualité ?

Bernard Faurie
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