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Quand Dieu s’en va-t’en guerre …

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Ce qu’il faut relever surtout, c’est qu’au terme d’un long approfondissement théologique, les auteurs bibliques en viennent à condamner la guerre. (Présence Mariste n°294, janvier 2018)

Violences et guerres dans la Bible

Les scènes de violences ne manquent pas dans la Bible, depuis le meurtre d’Abel par Caïn jusqu’à la crucifixion de Jésus. Il ne faut pas s’en étonner, la violence étant inhérente à la nature humaine et elle n’est pas spécifique aux religions. La Bible n’est pas un roman à l’eau de rose. Expurgés de toute violence, les textes bibliques sonneraient faux.

Bernard FAURIE

La guerre implique aussi la violence, mais à une autre échelle ! Et il est encore de bon ton de dénoncer le fanatisme des religions monothéistes. Que des guerres ne soient pas seulement le fait du fanatisme religieux n’enlève rien à la gravité de l’accusation. Ce ne serait pas trop demander que les religions, elles surtout, s’en soient passées.

Il y a guerre et guerre

De la conquête de Canaan, vers 1200 avant Jésus, à la dernière révolte des juifs dans les années 60 de notre ère, la Bible abonde en récits guerriers.

Il n’y a pas, à proprement parler, de guerres de conquêtes dans l’Ancien Testament. La conquête de Canaan par Josué est un mythe, ce que montre assez le livre des Juges où tout semble à refaire, les tribus ayant sans cesse à se défendre des incursions de leurs voisins, philistins entre autres.

Les guerres sont surtout des guerres de survie. À l’issue de l’exode et après quarante ans d’errance dans le désert il fallait que les Hébreux se trouvent un coin de terre pour subsister. Il est d’ailleurs significatif que le verbe hébreu « Lakham » ait à la fois le sens de « manger » et de « faire la guerre ».

Dans d’autres cas, les guerres bibliques sont des combats défensifs ? soit contre les tribus environnantes qui viennent razzier le pays, Amalécites, Moabites, Ammonites et autres, soit contre ces grands empires envahisseurs que sont l’Égypte, l’Assyrie, la Babylonie, et plus tard les Grecs et les Romains, dont les visées expansionnistes sont évidentes.

Un Dieu chef de guerre
Crucifixion - Peinture d’Andrea Mantenia (1431-1506) - Musée du Louvre

Le plus surprenant c’est que Dieu lui-même est un chef de guerre. Il est le maître de la guerre. Il est le Dieu des armées, ce « Yahvé Tsevaot » souvent mentionné dans la Bible ! C’est lui qui installe son peuple en Canaan, ce pays « ruisselant de lait et de miel » qu’il a promis de leur donner. Il prend parti pour son peuple s’il est fidèle à son alliance et à ses commandements, ou contre lui s’il rompt l’alliance et court après d’autres dieux. Les guerres d’Israël sont les guerres de Yahvé.

À cet égard, le récit du livre de l’Exode, racontant un combat contre les Amalécites, est très clair :
« Comme Moïse le lui avait dit, Josué engagea le combat contre Amaleq, tandis que Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline. Alors quand Moïse élevait la main, Israël était le plus fort ; quand il reposait la main, Amaleq était le plus fort. Les mains de Moïse se faisaient lourdes, ils prirent une pierre, la placèrent sous lui et il s’assit dessus. Aaron et Hour, un de chaque côté, lui soutenaient les mains. Ainsi ses mains tinrent ferme jusqu’au coucher du soleil et Josué fit céder Amaleq et son peuple au tranchant de l’épée »
(Ex 17, 11-13).

Lorsque prend fin la déportation à Babylone, en 538, grâce au roi des Perses, Cyrus, celui-ci est présenté comme l’oint et le berger du Seigneur. La guerre est aussi un thème théologique.

Quand la guerre devient instrument de propagande

Ce n’est pas tout. Les récits bibliques sont d’abord mis par écrit sous les rois réformateurs Ézéchias et Josias, au 7e siècle, puis au temps de la déportation à Babylone entre 598 et 538 ou dans les années qui ont suivi, au 6e siècle, on voit mieux comment il faut considérer ces conflits. Ézéchias a vu s’effondrer le royaume du nord, royaume d’Israël, avec la prise de Samarie par Sargon II, en 722, et la déportation de ses habitants. Il est bien à craindre que le même sort ne soit réservé à son royaume du sud, royaume de Juda. De fait, Sennachérib assiège Jérusalem, mais les Assyriens se retirent soudain pour des raisons obscures. À Jérusalem, on y voit un miracle, grâce à l’intervention de Yahvé (2R 19). Mais dans les annales assyriennes c’est un tout autre point de vue : Ézéchias est « enfermé dans Jérusalem comme un oiseau en cage » et il perd la plus grande partie de son territoire.

Comme quoi les rois de Juda, tout comme les rois d’Assyrie, font de leurs guerres des récits, des moyens de propagande. Les récits guerriers, amplifiés, sont au service d’une idéologie. Les pharaons égyptiens savaient aussi présenter les guerres à leur avantage. En 1286 avant notre ère, Ramsès II se flatte d’une brillante victoire contre les Hittites, à Qadesh. Mais en réalité, les Égyptiens ont subi une belle déconfiture.

Massacre des Innocents - Peinture de Nicolas Poussin (1594-1665) - Musée Condé à Chantilly

Déportés en Babylonie, les Judéens ont bien besoin de se remonter le moral. Il s’agit de montrer que leur royaume, comme celui où ils vivent, a eu ses heures de gloire. On garde la nostalgie d’un empire aussi puissant et étendu que celui de leurs vainqueurs : « Salomon dominait sur tous les royaumes depuis le Fleuve (l’Euphrate) et jusqu’à la frontière d’Égypte » (1R 5, 1). Mais il faut ranger ce récit, comme celui de la conquête de Canaan, dans le genre littéraire de l’utopie.

De la guerre à la paix

Ce qu’il faut relever surtout, c’est qu’au terme d’un long approfondissement théologique, les auteurs bibliques en viennent à condamner la guerre. Pourquoi David n’a-t-il pas été le constructeur du Temple ? Lui-même le reconnaît : « Dieu m’a dit : “Tu ne bâtiras pas une Maison pour mon Nom, car tu es un homme de guerre et tu as répandu le sang" (1Ch 28, 3). Dans le livre de Judith, le Dieu d’Israël est « un Dieu qui brise les guerres » (9, 7). Les condamnations les plus fermes sont dans la bouche des prophètes : « (Le Seigneur) sera juge entre des peuples nombreux, l’arbitre des nations puissantes, même au loin. Martelant leurs épées, ils en feront des socs, et de leurs lances ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre. Ils demeureront chacun sous sa vigne et son figuier » (Michée 4, 3-4).

Bernard Faurie
(Publié dans « Présence Mariste » n°294, janvier 2018)

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