n° 281 Sources

N’attendez pas le jugement dernier. Il a lieu tous les jours

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Ce n’est pas sur des pratiques rituelles que nous serons jugés
mais sur l’attention portée à celui qui n’a pas de quoi vivre. (Présence Mariste » n°281, octobre 2014)

Bernard Faurie

Le récit prophétique du jugement dernier qu’on lit dans l’évangile selon saint Matthieu (25, 31-46) est dans toutes les mémoires chrétiennes. Il a inspiré bien des artistes. Le « Polyptyque du jugement dernier » que le peintre flamand Van der Weyden a réalisé vers 1450 pour son mécène, le chancelier Rolin, et que l’on admire toujours dans les anciens hospices de Beaune, en Bourgogne, est impressionnant, même si la scène ne nous épouvante plus.

Mais il convient d’abord de se remémorer le texte évangélique, au moins dans son début, vous laissant, chers lecteurs et lectrices le soin d’aller voir la suite :
Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, accompagné de tous les anges, alors il siégera sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres. Il placera les brebis à sa droite et les chèvres à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : « Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; malade et vous m’avez visité ; en prison et vous êtes venus à moi… »

« J’étais dans la rue et vous m’avez réchauffé le cœur »
Un discours dépassé ou toujours actuel ?

On pourrait imaginer que le juif Jésus s’adressant à ses contemporains aurait pu leur dire :
« Venez les bénis de mon Père qui avez fidèlement suivi la Loi de Moïse ; observé scrupuleusement le shabbat ; respecté strictement les interdits alimentaires ; participé aux fêtes de pèlerinages à Jérusalem ; célébré annuellement la Pâque en famille…  »

Evidemment ce discours ne nous concernerait pas. On pourrait donc imaginer encore que l’évangéliste Matthieu s’adressant aux premières communautés chrétiennes, aurait pu leur dire :
« Venez les bénis de mon Père qui avez régulièrement participé à la messe du dimanche, observé le jeûne annuel du carême, demandé humblement l’absolution de vos fautes, communié à Pâques… »

Ce n’est pas sur des pratiques rituelles que nous serons jugés
mais sur l’attention portée à celui qui n’a pas de quoi vivre

Eh bien non !!! … Ce n’est pas sur des pratiques rituelles que nous serons jugés mais sur l’attention portée à celui qui n’a pas de quoi vivre, qui n’a pas de quoi se vêtir, qui est privé de sa liberté, qui n’est pas de chez nous. En clair, sur l’attention portée à tous les exclus de nos sociétés : à ceux qui ne fréquentent pas les restaurants chics mais les « Restos du cœur », aux jeunes qui ne peuvent s’offrir le luxe de vêtements de marque et sont la risée de leurs camarades, aux malades oubliés dans les hôpitaux, aux vieillards délaissés dans les maisons de retraite, aux handicapés pour lesquels on a oublié les rampes d’accès, aux innocents mis derrière les barreaux, aux victimes de l’esclavage des temps modernes, aux étrangers trop envahissants et « qui ne sont pas comme nous »… Cela dit, il faut éviter le contresens qui ferait croire que seuls les exclus, et uniquement eux, ont forcément accès au Royaume préparé pour les élus !

Polyptyque ouvert de Rogier van des Weyden
Au cœur de l’Évangile, le refus de l’exclusion

Les sociétés anciennes, quelles que soient leurs religions, ont connu peu ou prou toutes ces exclusions. Mais à leur encontre, Jésus accueille les enfants : « Laissez venir à moi les petits enfants » (Luc 18, 16). Les récits de l’enfance de Jésus paraissent même anachroniques en un temps où l’enfance des grands hommes était passée sous silence et où l’on ne s’intéressait à eux que parvenus à l’âge adulte, dans leur pleine maturité. Et Jésus fréquente encore les gens mal vus, les étrangers et les femmes !

Le christianisme naissant a voulu prendre les exclus en compte. Le service des diacres est institué pour subvenir aux besoins des veuves (Ac 6, 1-6). L’auteur de la lettre de Jacques recommande de visiter les orphelins et les veuves (1, 27). L’apôtre Paul plaide la cause d’Onésime, l’esclave fugitif de Philémon. L’auteur de la lettre aux Hébreux demande à ses lecteurs de se souvenir de ceux qui sont en prison « comme si vous étiez prisonniers avec eux, et de ceux qui sont maltraités. » (Hb 13, 3)

Mais toutes ces recommandations montrent aussi qu’il était nécessaire de rappeler aux chrétiens leurs devoirs envers les autres pour un mieux-vivre en société !

Dieu aime l’émigré (Dt 10, 18)

Aujourd’hui le problème le plus aigu et le plus douloureux est sans doute celui de l’accueil de l’étranger, de l’immigré. Les auteurs des textes de l’Ancien Testament y étaient déjà très sensibles, et pour cause :
« Tu n’exploiteras pas ni n’opprimeras pas l’émigré car vous avez été des émigrés au pays d’Egypte »
(Ex 22, 20).

L’interdiction des mariages mixtes est souvent rigoureuse. Il n‘empêche, les exemples n’en sont pas rares. Abraham, lui-même émigré venu de Mésopotamie, épouse des femmes étrangères. Moïse en personne, lui le Législateur, épouse des étrangères. Lui aussi n’était-il pas un étranger en terre d’Egypte ? Les fils d’Abraham, Isaac et Jacob vont encore prendre femme à Harrân, en Haute Mésopotamie. Joseph, fils de Jacob, épouse Asnat une Egyptienne, la fille d’un prêtre. Double mariage mixte : avec une femme étrangère et d’une autre religion ! De leur union naissent Manassé et Ephraïm, les futurs chefs de deux des douze tribus d’Israël. Esther, dont le nom est celui de la déesse mésopotamienne Ishtar, épouse Assuérus, un roi païen…

« J’étais malade et vous vous êtes occupé de moi »
Photo Fotolia
L’Ancien Testament fait donc preuve
d’un universalisme
que l’on retrouve dans le
Nouveau Testament.

Jésus s’en va porter la bonne nouvelle en terre étrangère, dans les territoires phéniciens de Tyr et de Sidon, et dans les villes fortement hellénisées de la Décapole. Mieux encore, de même qu’il a donné en exemple l’enfant, la femme, la veuve, il donne aussi en exemple la Samaritaine et le « bon » Samaritain, ces étrangers honnis de tout Juif bien-pensant.

La raison de ces règles de bonne conduite, de ce comportement, est évidente : nous sommes tous des étrangers et des pèlerins sur cette terre, ainsi que le dit encore l’auteur de la lettre aux Hébreux
« car nous sommes à la recherche d’une patrie, d’une patrie meilleure, d’une patrie céleste »
(Hb 11, 13-16).

Bernard FAURIE

Le titre de cet article est une phrase d’un écrivain français célèbre, appelé Albert Camus (1913-1960).

(Publié dans « Présence Mariste » n°281, octobre 2014)

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