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La laïcité au service du vivre ensemble

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« La laïcité, positivement, pourrait être la mise en commun des grandes visions portées par les religions sur la vérité, sans qu’elles la possèdent, puisque personne ne la possède. Voilà qui pourrait aider le vivre ensemble. » (Présence Mariste n°286, janvier 2016)

Le P. Thierry Magnin est, depuis 2011, Recteur de l’Université Catholique de Lyon. Il est Docteur en Sciences Physiques et Docteur en Théologie. Il travailla comme enseignant-chercheur en Physique à l’École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne, puis à l’Université de Lille. Sa thèse doctorale portait sur la relation entre la science et la foi. Il fut ordonné prêtre en 1985. Il exerça le ministère de Vicaire général du Diocèse de Saint-Étienne de 2002 à 2010.
Le 23 avril 2015, le P. Thierry Magnin a co-animé, avec Tarek Oubrou, Imam de la grande Mosquée de Bordeaux, une soirée sur le thème « Guerres, violences, à cause ou malgré les religions »… Devant une salle de 500 personnes, belle leçon de « vivre ensemble » !
Ce thème nous a paru rejoindre les questions que nous nous posons dans ce dossier, sur le VIVRE ENSEMBLE, « malgré, ou à cause de nos différences », pour reprendre les termes de Saint Chamond… Nous avons rencontré Thierry Magnin… Voici quelques passages du long entretien qu’il nous a accordé sur ce sujet… Pour en conserver toute la passion, nous en avons volontairement conservé le style oral…
P. Thierry MAGNIN

Présence Mariste : Vous êtes intervenu sur le thème du vivre ensemble en avril 2015 à Saint-Chamond en tant que Recteur de l’Université catholique de Lyon. Cette question est donc bien au centre de vos projets.

Thierry Magnin  : Oui, l’objectif de cette rencontre avec Tarek Oubrou était de montrer aussi que, dans la spécificité de chacune de nos religions, de chacune de nos communautés, on pouvait vivre ensemble et apporter une contribution, au vivre ensemble de la société.
Avec l’Université Lyon III et la Grande Mosquée, nous proposons une double formation inédite. Le premier objectif est de former des Imams à la langue française et à la laïcité pour « la consolidation d’un islam de France, respectueux des lois de la République »
Le second est de mieux faire connaître l’islam aux professionnels travaillant dans les hôpitaux, les administrations ou les écoles et qui pourraient être confrontés à des questions religieuses.
Ces formations ont donc une visée d’intégration, d’inculturation, dans le respect profond des différences, bien sûr, mais leur but, c’est bien le vivre ensemble.
D’ailleurs elles sont sponsorisées par le Ministère de l’Intérieur, mais pas seulement en tant que ministère des cultes. La ligne budgétaire, c’est : « cohésion sociale, politique de la ville », donc c’est vraiment le vivre ensemble.

La croissant et la croix

PM : Ce vivre ensemble passe donc par davantage de connaissance mutuelle, et de connaissance de sa propre religion…

TM : C’est un point capital.
Bruno Guiderdoni qui est le responsable de l’Institut de Civilisation Musulmane de la grande mosquée de Lyon - il est un astrophysicien lui-même - m’a invité plusieurs fois à la grande Mosquée pour faire à deux voix, musulman et chrétien, des interventions sur sciences et religion. Il fait partie de ces responsables musulmans qui ont envie qu’on fasse avec le Coran ce que nous avons fait avec la Bible, c’est-à-dire de la théologie, c’est-à-dire qu’on creuse l’articulation entre foi et raison. Qu’on puisse faire l’exégèse du Coran comme on a fait l’exégèse de la Bible. Mais on se heurte à ce qu’on a aussi parfois trouvé dans la tradition chrétienne : il ne faut pas toucher au texte, comme si les textes étaient tombés du ciel au sens complet du terme. Je ne dis pas qu’il faut transformer le Coran, mais il faut savoir à qui on s’adresse…
Donc, ce travail scientifique, ce travail de l’épistémologie scientifique, qui chez nous est fait, de leur côté, on doit encore le faire !

Plus de 500 personnes à Saint-Chamond autour de Tarek Oubrou, imam de la grande mosquée de Bordeaux et du Père Thierry Magnin pour une soirée sur le thème « Guerres, violences, à cause ou malgré les religions »

PM : Tarek Oubrou, qui est bien sur la même ligne, disait qu’il fallait retrouver le message ! Et non pas essayer de remettre en place les conditions historiques du début de l’Islam, réfutant en cela les thèses de Daesch qui prônent le retour au califat, en oubliant ce qui est principal, le message.

Un des innombrables textes déposés sur les lieux des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.
Photo Jean Ronzon

TM : Et voilà, c’est l’inculturation, le message dans la culture et les sociétés d’aujourd’hui… Et c’est bien cela qui fait peur, très souvent ; c’est quand le message a l’air de ne pas être en lien…
Il peut être provocateur le message, bien sûr il peut être provocateur ! Il ne s’agit pas de dire que toutes les religions doivent être caméléons ! Mais provocateur en s’adressant à une société d’aujourd’hui, et pas en essayant de reconstituer en effet les conditions d’un passé !

PM : On entend souvent dire que la laïcité, ce devrait être la neutralité, que la religion ne devrait pas empiéter sur la vie citoyenne…

TM : C’est pour moi une erreur fondamentale, d’abord de croire qu’on peut être neutre ; je ne connais personne de neutre. Et puis, j’aime beaucoup ce que dit la tradition chrétienne, et Benoit XVI l’a beaucoup repris dans la plupart de ses textes : la vérité, en christianisme, c’est quelqu’un, ce n’est pas un message d’abord, ce n’est pas une doctrine d’abord, même si ça va se traduire dans des messages et des doctrines, l’évangile ce n’est pas un beau texte d’abord, c’est quelqu’un… et personne ne possède quelqu’un…

Le Bon Pasteur au Col des Saisies - Le plus petit a une importance considérable au yeux de Dieu ! Mais ça, dans nos comportements pour le vivre ensemble, ça change tout !
Photo Maurice Goutagny

Sous cet angle-là, la laïcité, positivement, pourrait être la mise en commun des grandes visions portées par les religions sur la vérité, sans qu’elles la possèdent, puisque personne ne la possède. Voilà qui pourrait aider le vivre ensemble. Aujourd’hui, on cherche ces points de repère… Parlons de ces jeunes qui courent au djihad : il faut vraiment ne pas avoir beaucoup de repères pour aller dans un truc pareil ! S’il n’y a plus que le terrorisme qui puisse proposer des valeurs qui vont sécuriser des jeunes à tel point qu’ils vont être capables de partir là-bas au risque de leur vie, ça c’est la tête en bas ! Au contraire, dans un pays laïc comme le nôtre, les religions peuvent apporter des éléments-clés, avec les courants philosophiques majeurs, qui peuvent être agnostiques ou athées : c’est quoi l’homme, c’est quoi le sens de notre vie, c’est quoi que nous avons à construire ensemble, c’est quoi nos valeurs partagées ? L’école de la république devrait être faite pour cela… Alors là, la laïcité, elle serait vraiment au service du vivre ensemble !

Même chemin dans la diversité

Ça pourra vous paraître idéaliste, mais moi je crois que c’est vital…Ce n’est pas idéaliste, c’est vital, et de fait si l’on n’a pas ça, on a n’importe quoi … Et si l’on a à la place une sorte de neutralité qui dit : surtout dites-en le moins possible, comme ça on se retrouvera au plus petit dénominateur, eh bien on est dans un grand vide… C‘est mon opinion, pas un jugement du haut de la mêlée, mais de quelqu’un qui essaie du dedans…

PM : Ça nous oblige à nous poser la question : mais qu’est-ce que nous amenons de plus en tant que chrétiens ? Souvent on nous dit, mais votre apport, tout bon humaniste, même athée, peut le revendiquer !

TM : Eh bien tant mieux ! Mais nous avons cette vision d’un Jésus qui ne désespère jamais de quiconque, jamais… y compris des deux brigands crucifiés de part et d’autre de lui… y compris de Judas à qui il dit « mon ami ». Il vient toujours appeler, parce qu’il croit toujours en un « possible », en tout le monde… Eh bien, écoutez, je ne vois pas souvent cela, moi… Par contre, je vois souvent des éducateurs - et vous êtes bien placés vous les Maristes pour le savoir - qui, croyants de cette manière d’être de Jésus, font des miracles tous les jours… Notre message, c’est que la mort elle-même n’a pas le dernier mot sur la vie ! La vie est plus forte que la mort, ça c’est le sens de Pâques. C’est énorme de conséquence… Le plus petit a une importance considérable aux yeux de Dieu ! Mais ça, dans nos comportements pour le vivre ensemble, ça change tout !

Donc moi je veux bien qu’on se prive de ça au nom d’une laïcité, qui voudrait n’être qu’une neutralité et qui nous ramène au plus petit dénominateur commun… Mais pour faire quoi ? Pour crever de manques de points de repères, et surtout pour laisser crever ceux qui en cherchent désespérément et qui crient après ? Mais attendez c’est de l’incivisme !

PM : Pour en revenir à votre soirée avec Tarek Oubrou, vous avez tous les deux terminé en parlant de l’amour !

La Femme adultère - Nicolas Poussin - « Entre deux bandits, ou avec une prostituée ! Ou avec le rebut de la société ! Il y est présence, il y est ! »

TM : Le fondateur de Larche, Jean Vannier, dit qu’il apprend et qu’il continue d’apprendre la vraie vie auprès d’handicapés physiques moteurs cérébraux ! Comment il peut dire cela ? C’est de l’amour qu’il parle ! L’amour qui est la relation donnée, au cœur de l’homme… au cœur du meilleur comme du pire ! Entre deux bandits, ou avec une prostituée ! Ou avec le rebut de la société ! Il y est, présence, il y est ! Et moi qui croyais qu’il fallait être parfait pour mériter Dieu ! Tout faux ! Tout faux ! En pensant qu’il faut être parfait pour mériter Dieu, je deviens propriétaire de ce Dieu-là ! Alors oui, avec ce Dieu-là, je peux être athée, oui ! Avec joie, avec libération ! Tout faux ! Mais c’est un combat perpétuel, parce que, souvent, je continue de penser cela !

Je ne veux pas dire qu’il ne faut pas avoir de la volonté ! Bien sûr qu’il faut essayer de s’améliorer ! Mais je ne suis pas propriétaire d’un mérite ! C’est donné ! Je trouve cela génial ! C’est un défi pour tout le monde, et pour moi le premier, bien entendu !

P. Thierry Magnin
Propos recueillis par Michel Duchamp
(Publié dans « Présence Mariste » n°286, janvier 2016)
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