Ma vie de clown… sur le fil

Etre clown, un art qui va au-delà du rire !

[bleu] Blandine, pouvez-vous décrire l’art que vous pratiquez ? Depuis quand ?
Je suis clown depuis 15 ans.
Qu’est-ce que c’est être clown ? C’est être en lien avec l’enfant qui est en nous. Une formule magnifique mais qui veut dire quoi ? Simplement accepter de redonner ses droits à l’enfant que nous sommes.
Le clown est un humaniste, un aventurier explorateur teinté d’un releveur de défis. C’est un équilibriste de la vie. Il a tous les pouvoirs mais n’en possède aucun, toute la puissance de l’impuissance. Et la seule chose qu’il sait dire c’est… « OUI ». Le clown est ailleurs et en même temps au plus profond de lui-même. C’est un imperméable à la raison et choisit l’affectivité à l’effectivité.

Etre clown : accepter de redonner ses droits à l’enfant que nous sommes

L’expression de cet art est le résultat d’un appel particulier, j’oserais dire d’une vocation ?
Une vocation ? Je ne crois pas. Mais une certitude ancrée en moi à mon insu, oui ! Je relate cette anecdote qui révèle bien l’origine de ce clown : c’est un an après le décès de mon père, j’ai 13 ans. Ma mère possède une maison à la campagne, en Auvergne.
Nous passons l’été là-bas. Depuis toute petite, avec ma sœur, nous aimons nous déguiser, jouer à la princesse, faire du théâtre. Et cette année-là, comme souvent avec les copains/copines, je décide de « mettre en scène » une histoire que j’avais écrite, un spectacle de… clown : « Les poupées du clown ». Pourquoi ? Et voilà ma 1re rencontre avec ce personnage. Je ne suis pas d’une famille du cirque et encore moins avec cette culture-là (quoique !!!).
Mais confusément, profondément, archaïquement, avec le clown, dans ma détresse et ma souffrance, je dis « oui » à la vie. Alors une vocation, non, mais une intuition, un instinct de survie, comme les enfants en ont, qui s’est incarné, oui ! Mystère de DIEU sur moi !

Quels sont les destinataires d’un art comme le vôtre ?
Tout le monde. C’est Catherine DOLTO, dans son livre « Rire Guérir », qui écrit : « Combien de clowns meurent au fond des gens… », elle continue « …c’est une hécatombe de clowns ! » Le clown parle à chacun d’entre nous. Il parle toutes les langues, s’adapte à toutes les cultures, les milieux.

Le clown, un équilibriste de la vie


Chez certains le phénomène se révèle, chez d’autres il est ignoré, refoulé, censuré.

Je crois savoir que vous allez à la rencontre des enfants hospitalisés. L’expression de votre art facilite-t-il le contact ; comment faites-vous ?
Je travaille pour l’association Docteur Clown depuis 10 ans. Nous intervenons en milieu hospitalier dans les services de pédiatrie.

Et auprès de ce « public », être clown favorise drôlement le contact. Le clown se permet tout, donc celui d’aller à la rencontre de l’autre, très vite, dans l’essentiel. Et à l’hôpital, on est dans l’essentiel. On entre vite dans l’intimité des personnes. Alors comment fait-on ? On pratique le « chambre en chambre ». On nous informe, à notre arrivée dans le service, du prénom, de l’âge, de la pathologie et de la situation familiale du petit patient. Munis de ces précieuses informations, nous déambulons ainsi.
Chaque porte poussée est une nouvelle aventure, une rencontre. L’intimité de la chambre offre une « approche » en douceur et personnelle avec l’enfant, le jeune, le bébé.

D’un certain point de vue, vous êtes créatrice de votre propre art, mais aussi destinataire ? Pouvez-vous dire quelque chose de ce que vous apporte la création ? Y-a-t-il des choses que l‘on se donne à soi-même ?
C’est un aboutissement de soi-même. Il y a plusieurs défis dans la création : la liberté de faire, l’autorisation de ne pas se censurer et la volonté d’aller jusqu’au bout.

Et un quatrième, qui, à mon sens, est sans aucun doute majeur, être en vérité. Je m’explique, dans mon engagement de chrétienne, je vais à la messe, je récite le JE CROIS EN DIEU chaque fois. Je le dis avec foi. Alors comment dans ma vie de tous les jours, se manifeste-t-il ? Est-il seulement une prière dite et redite, une conviction totale, une formule magique ? Ou plus simplement l’expression de ma foi ! « Entre les Gouttes » est une facette de cette manifestation. Le spectacle réunit ces défis. Et le chemin entrepris depuis cette création est de les réunir dans ma vie.

J’ai eu l’occasion de voir votre spectacle « Entre les gouttes » : pouvez-vous rappeler les motivations de base d’un tel spectacle ?
L’évidence de proclamer ma Foi en DIEU, créer l’unité en moi.

J’étais capable, à ce moment-là, de faire une relecture de ma vie, la mettre en scène, sans qu’elle ne vienne m’altérer, ni me déstabiliser. Lors de ce travail de création, j’ai vécu le doute, la solitude, alors je m’adressai à Dieu, à genoux devant la croix, je pleurais, je lui disais : « Tu me l’as demandé, j’ai dit oui, je travaille pour ça !!! Alors aide-moi…, donne-moi l’idée ! » Et chaque fois, dans une pauvreté de moyen, par le corps, la mise en mouvement du corps, l’idée surgissait. Avant ce spectacle, j’étais mobilisée par moi-même, avec ce travail je me suis mise en mouvement pour moi-même.

Cela demande audace et vérité, quand je le joue, mais je vois les fruits que cela porte.

Ce spectacle a produit quelque chose chez vous, mais pouvez-vous dire qu’est-ce que ça produit chez les spectateurs plus jeunes, et moins jeunes ?
Cette mise en mouvement percute les spectateurs. L’effet miroir du clown qui raconte sa vie, fait écho.

On a tous des vies « fracassées », fragiles. Et ces résonnances viennent rejoindre chacun là ou il en est.

Est-ce que vous êtes sûre de transmettre des valeurs, à travers votre art, valeurs humanistes, valeurs chrétiennes… ?
Oui, de plus en plus. La foi unifie l’être, et dans cette unité le clown et l’artiste ne font qu’un. Je tends à ÊTRE, le clown est dans le JE. Ce que je suis se transmet à ce que je joue. Et dans l’autre sens.

L’art peut-il être un support de transmission de la foi, de l’évangile ? Pouvez-vous expliquer comment avec l’un ou l’autre exemple de création en cours ?
Je citerai le projet de la comédie musicale, sur Marcellin CHAMPAGNAT, au collège du même nom, à FEURS.

À travers des ateliers théâtre, chant et danse, c’est tout le message d’évangélisation, d’éducation, d’amour des enfants et des jeunes de cet homme qui est proclamé.

On aurait pu choisir de relater sa biographie, raconter sa vie mais nous avons choisi de suivre un scénario moins conventionnel, plus original.

Et ici, ce qui se dessine et qui me dépasse, je l’avoue, est que ce message est celui de JÉSUS. Alors proclamer la Foi demande de Lui laisser la place. L’art se met au service de la Parole. Et la « Bonne Nouvelle » devient vivante, incarnée.

Blandine THÉVENON,
interview réalisée par Fr M. Goutagny
(paru dans Présence Mariste N° 264, Juillet 2010)

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