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Les transformations et solidarités familiales depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours

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De la famille souche à la famille nucléaire - Un âge d’or de la famille a-t-il existé ? (Présence Mariste n°287, avril 2016)

Christophe Capuano

L’industrialisation, l’essor de la modernité et le développement de l’urbanisation ont été longtemps lus comme un long déclin de la famille. Cela tient d’abord à une lecture politique de penseurs du XIXe siècle comme Joseph de Maistre ou Louis de Bonald. Hostiles à la Révolution française, ils estiment que celle-ci est responsable de la montée de l’individualisme – l’individu est au cœur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et du Code civil napoléonien de 1804.

De la famille souche ….

D’autres, comme Frédéric Le Play, pensent que la modernité et la Révolution ont mis fin à un certain âge d’or de la famille caractérisé par la “famille souche ? où plusieurs générations (des enfants aux grands-parents) cohabitent sous le même toit, permettant une perpétuation des valeurs morales et une entraide intergénérationnelle. Celle-ci aurait cédé sa place, dans un contexte d’exode rural, à la “famille nucléaire ?, une structure familiale fondée sur le couple avec les enfants, qui serait selon Le Play davantage artificielle et ne permettrait pas un maintien des solidarités entre les générations.

A la famille nucléaire ….

Cette pensée, portée par leurs héritiers, voit dans la légalisation du divorce en 1884 et la stagnation de la natalité à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle (de 1850 à 1900, la France est seulement passée de 36 millions à 40 millions d’habitants) des signes de ce déclin. Autre facteur présenté comme responsable de la dégradation de la natalité et de la famille, le travail féminin (il représente plus de 36 % de la population active à la veille de la Première Guerre mondiale) ne cesse d’être conspué. Cela s’inscrit dans le discours du catholicisme social où les missions maternelles et éducatrices de la mère sont rappelées et les risques du travail hors du foyer sont dénoncés. Il faut dire que n’existe alors aucun dispositif permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale.

Femmes au travail avant la 1re guerre mondiale

Cette vision pessimiste de la famille est relancée à partir des années 1950, malgré le baby-boom et la mise en place d’une politique familiale volontariste. Les associations familiales s’inquiètent d’un supposé apogée de l’individualisme et dénoncent la perte de valeurs morales qui se traduiraient par la hausse de l’égoïsme dans les familles et la société, le désintérêt pour les parents âgés. Ces inquiétudes semblent être corroborées par certains sociologues qui insistent sur les conséquences de l’accentuation de phénomènes plus anciens comme le vieillissement des campagnes et l’essor de phénomènes nouveaux. Ce sont la baisse de la cohabitation intergénérationnelle (1962 à 1982, les personnes âgées vivant en cohabitation avec leurs proches passent de 24 % à 12 %), la hausse du nombre de divorces (on passe de 12 à 30 divorces pour 100 mariages de 1970 à 1985), l’augmentation de la part des femmes sur le marché du travail (46 % en 1960, 55 % en 1980, 68 % en 2010), le recul de la part des familles nombreuses (de 29 à 22 % de 1962 à 1982), la hausse des enfants hors mariage (6 % en 1965, 12,7 % en 1981, 44,3 % en 2004), l’augmentation de la part des familles monoparentales (hors veuvage) liées au célibat (cette part passe de 9 à 30% de 1962 à 1999) ou au divorce (leur part passe de 9 à 44% des familles monoparentales de 1962 1999).

Un âge d’or de la famille a-t-il existé ?

La famille de type souche

Ces tendances sont alors lues par certains comme un risque d’éclatement de la famille et la rupture des liens familiaux. Des politiques s’emparent de la question comme Michèle Barzach. Dans Le paravent des égoïsmes (Odile Jacob, 1989), elle défend ainsi la vision idéologique d’un supposé déclin des solidarités, dénonçant un « égoïsme collectif, qui nous mène à un lent dépérissement de la population, et égoïsme individuel qui, au nom de la solidarité nationale, nous dispense de regarder autour de nous ». Des événements semblent constituer par ailleurs des révélateurs de cette crise familiale comme la canicule de l’été 2003 qui fait plus de 14 802 morts (surtout des personnes âgées).

Ces lectures sont pourtant biaisées pour différentes raisons. Tout d’abord l’idée d’un âge d’or ne tient pas : les travaux des historiens de la famille menés depuis les années 1960 ont montré que les deux types de famille « souche » et « nucléaire » ont coexisté en France depuis plusieurs siècles, ces types étant plus développés dans certaines régions que dans d’autres. Par ailleurs, si les travaux des sociologues ont mis au jour certaines tendances, ces chercheurs ont mis du temps à appréhender la diversification des formes familiales et à comprendre comment les liens familiaux se transformaient et s’adaptaient à de nouvelles réalités.

Poster de la famille

C’est le cas par exemple des familles recomposées qui concernent aujourd’hui un enfant sur dix. Il faut alors inventer de nouveaux outils d’analyse pour comprendre ce qui est à l’œuvre, comme la « parentalité ». Usitée par les sciences psychologiques et sociales et distinguée de la filiation, celle-ci recouvre la réalité des relations nourricières, éducatives, doublées des liens affectifs qu’un enfant entretient avec l’ensemble des adultes qui l’élèvent.

Une famille équilibrée

Avec l’allongement de la durée de vie, le rôle de la génération-pivot est également mis au jour : souvent âgée de 45 à 65 ans, celle-ci doit à la fois assurer l’éducation et l’entretien de ses enfants, qui restent parfois longtemps au domicile, et le soutien en aide et soins à ses parents âgés en perte d’autonomie. Dans ce cadre, l’importance des transferts financiers entre les générations est essentielle. Les nouvelles formes de relations entre ascendants et ascendants n’ont également été comprises qu’à partir des années 1970 : plutôt que la cohabitation, parents et enfants adultes privilégient l’habitat de proximité et multiplient les visites ou les contacts.

Femme enceinte au travail

Quant à la canicule de 2003, celle-ci a fait davantage de victimes en institutions (64 %) qu’au domicile. Ces évolutions montrent néanmoins la nécessité de politiques publiques ambitieuses pour assurer l’équilibre de la famille : diversification des aides familiales, conciliation de la vie professionnelle et privée, soutien à la natalité. On sait aussi aujourd’hui que plus les aides aux familles sont fortes, plus les solidarités entre générations fonctionnent. Or avec d’un côté l’allongement des études et de l’autre le vieillissement de la population, les générations pivots seront de plus en plus sollicitées.

Christophe Capuano
Maître de conférences en histoire contemporaine - Université Lyon2
(Publié dans « Présence Mariste » n°287, avril 2016)

Vos réactions

  • CAPUANO 8 mars 2017 19:02

    Bonjour, Je vous remercie d’avoir mis en ligne mon article. En revanche, je souhaiterais que les titres soient modifiés. Les titres « de la famille souche… à la famille nucléaire… » laissent penser que les deux types de famille se sont succédés dans le temps or c’est l’inverse que je démontre puis les historiens de la famille ont montré que coexistaient des familles souche/élargies et des familles nucléaires dans l’Europe moderne. Pourriez modifier ces titres ? Je vous remercie par avance. Bien cordialement Christophe Capuano, auteur de l’aticle.

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