Une longue expérience de missionnaire en Afrique

Un beau témoignage : Frère Georges Palandre nous parle de ses nombreuses années d’apostolat en Afrique. (« Présence Mariste » n°248, juillet 2006)

En 1963, le 12 décembre, le Kenya devenait indépendant, après des années de lutte. La proclamation de cette indépendance était mentionnée dans les journaux Européens dans les pages intérieures laissant la primeur aux suites de l’attentat de John Kennedy.

A l’image du Kenya pendant toute la décennie 1960-1970 le continent a découvert les défis de cette liberté tant recherchée et appréciée. Certes les troubles n’ont pas tardé à secouer plusieurs de ces jeunes états et certains en connaissent encore. La paix, nouveau nom du « développement » disait Paul VI ; n’est encore qu’un rêve pour beaucoup de générations de villageois africains. L’horizon 2000 est derrière et que n’a-t-on pas dit, promis ou rêvé sur la paix à cette date.

En 1963 jeune Frère Mariste …

… je démarrais mon travail sur le terrain, après les années de formation mariste. J’ai partagé la joie de bien des confrères dans plusieurs communautés en France. On appréciait alors les retombées de la loi Debré.

« Un second appel dans mon engagement religieux ».

En 1969, ce fut le départ pour deux ans de coopération en Centrafrique. Ce fut comme un second appel dans mon engagement religieux. Cette courte expérience de deux ans fut déterminante pour les années suivantes en particulier pour mon engagement définitif de 1973. Depuis cette année, à part quelques petites parenthèses, ma vie mariste a été essentiellement africaine. J’ai eu la chance de travailler en divers pays et de partager la vie de frères maristes de diverses nationalités.

The « headmaster » s’en va en moto porter les inscriptions de ses élèves.

Au moment où il faut fermer la page de ce merveilleux livre je repense à ces nombreuses années exceptionnelles où j’ai partagé l’expérience des premières générations d’Africains nouvellement devenus indépendants. Au niveau mariste j’ai été associé à la naissance heureuse ou douloureuse des secteurs et provinces maristes africains d’aujourd’hui. Que de changements en ces quelques décennies !

L’Afrique bouleversée par les communications.

En 1958 le départ des premiers Frères pour Berberati fut l’événement de l’année pour les Frères de la province de Saint Genis Laval.

Juvéniste à ce moment-là, je me souviens de la lecture faite par le Frère Bellet alors directeur du juvénat Saint Joseph. Le récit du voyage en bateau rédigé par son frère Marcel qui fut le pionnier de cette fondation en Oubangui Chari ; ferait sourire le Conseiller Général de 2006 qui vient de Rome à Nairobi en quelques heures et poursuit son voyage sur Kigali le même jour ! Une lettre envoyée de France était normalement acheminée par bateau et la réponse ne pouvait atteindre l’expéditeur avant un mois.

Aujourd’hui depuis le fin fond de la Province du Nyanza au Kenya on peut appeler n’importe où dans le monde avec un portable dans sa poche. Les emails sont à la portée de tous. Quelle révolution en quelques années. Si c’est vrai pour l’Europe, je dois avouer que les effets de ces apports technologiques sont plus importants en Afrique. Je ne prends pour exemple que le nombre de déplacements qui ont diminué du fait de ce téléphone portable. Rester en contact avec des amis ou des confrères ou des supérieurs en voyage est aujourd’hui si aisé. Faire une commande à distance, prendre un rendez-vous pour être sûr de ne pas faire un « voyage blanc » ceci devient banal et normal en plein cœur de la brousse kenyane.

Vers une identité internationale.

Un des premiers changements survenus au moment des indépendances c’est la réponse positive donnée par tous les nouveaux gouvernements aux offres venant des deux blocs. Au moment où la politique des blocs touchait chaque nation, ces offres ont réduit le poids de l’ancienne puissance coloniale. C’est ainsi que j’ai rencontré et travaillé pour la première fois de ma vie avec des Américains, des Soviétiques (en ce temps) des Canadiens… et bien sûr de plus en plus des gens du pays.

A ceci s’est ajouté pour moi, au Kenya la mise au placard du français. Que de déracinements ! Que d’horizons inespérés se sont succédés ! Cette ouverture internationale a été une chance.

Fr Georges remet deux paires de chaussures de foot
au responsable des sports car l’équipe de l’école a gagné un match.

Par ailleurs les événements ont fait que j’ai dû travailler dans différents systèmes éducatifs et je n’hésite pas à dire que ce n’est pas aisé de passer d’un système à un autre. Pendant ces neuf dernières années kenyanes, j’ai apprécié l’ouverture de ce système éducatif où il n’y a pas l’ombre d’une querelle scolaire. Les autorités académiques ne font pas de différences entre public, privé, confessionnel… « Tous les élèves sont Kenyans et nous travaillons tous pour le futur du Kenya ». Les inspections, les rencontres académiques, les examens, les sessions de formation sont organisées pour tous. Un professeur peut passer d’un enseignement à un autre sans aucune difficulté. Même les écoles publiques ont un programme d’enseignement des matières religieuses, les mouvements d’action catholique sont actifs dans chaque école. Il n’y a pas une réunion de directeurs ou de professeurs, de rencontres avec les inspecteurs du public sans une prière au début et à la fin de chaque réunion.

Une vie religieuse « sans frontières ».

A Bangui, en 1969, notre communauté comptait une douzaine de Frères avec une majorité de jeunes Frères-coopérants français. Nous nous sentions membres de la province de Saint Genis Laval à part entière. Les circulaires, les visites du Provincial, les nouvelles échangées en communauté maintenaient le lien.

Pour moi, ceci a bien changé en 1983-85, pendant les deux années passées à Goma : une communauté composée de trois rwandais, un camerounais et un aspirant zaïrois. Ce fut un tournant de mon vécu mariste. Une expérience que je mets en première position à cause du défi lancé par le Frère Etienne Rweza le provincial d’alors :
"Faites de la fondation de cette nouvelle communauté ce que nous voudrions pour chacune, à savoir vivez avec ce que vous gagnez ! "
Nous a-t-il demandé en ouvrant cette communauté. C’est dans ce contexte que j’ai réalisé ce qu’était une œuvre mariste avec des confrères maristes comme moi ayant le même idéal, tous fidèles à notre engagement religieux.

Fr Georges donne un cours de Français à l’école de Roo (Kenya) dont il est directeur.

Actuellement au Kenya, nous démarrons la nouvelle province d’Afrique du Centre et de l’Est. Certes on maintient des liens irremplaçables avec les provinces-tutelles comme l’Allemagne pour le Kenya. J’ai passé ces neuf dernières années avec des confrères kenyans, espagnols et allemands, travaillé avec des collègues laïcs kenyans. Une autre belle expérience internationale.

Un constat ressort de tout ça. Un dépouillement plus ou moins exigeant selon les moments ou les lieux m’a fait aller au cœur de la réalité.
Considérer le « cœur de notre communauté », le « cœur de notre mission », le « cœur de mon engagement personnel ».
Voilà qui éclaire certains choix ; certaines acceptations. Il faut faire abstraction de beaucoup de détails, relativiser les faiblesses de chacun et espérer. Les occasions de se taire et de méditer pour essayer de comprendre ne manquent pas. Le silence de la prière et les temps de réflexion sont nécessaires pour parvenir à une démarche juste. Ce n’est pas une simple stratégie, une philosophie. C’est bien davantage une attitude spirituelle qui pourrait avoir pour nom : la disponibilité. Un oui vécu en toute liberté et générosité.

« Un cœur sans frontières. »

Je me rappelle le slogan de la canonisation de Marcellin Champagnat en 1999 "un cœur sans frontière". Cet éloge me paraît juste et pour moi interpellant au niveau personnel et communautaire. On sait comment notre fondateur avait un cœur de père pour tous ses Frères et qu’il partageait toute la vie de ses Frères : leurs peines comme leurs joies, leur nourriture et leur genre de vie… Nous avons en lui un bel exemple d’amour fraternel ; d’amour universel.

En conclusion, je constate que je fais un bilan qui serait plutôt un programme. Si j’ai eu la chance de vivre cette magnifique expérience, je réalise aujourd’hui combien le « davantage » de Saint Vincent de Paul m’interpelle.

Chacun fait un jour ou l’autre un bilan et avec chacun, je constate que ce qui reste n’est pas ce qui est visible, matériel mais c’est ce qu’on a essayé de « bâtir » dans les cœurs avec d’autres confrères.

Frère Georges PALANDRE

(Publié dans « Présence Mariste » n°248, juillet 2006)

Revenir en haut