Sortir de la toxicomanie

L’histoire de la maison de réhabilitation du « gué » (Drôme) ( « Présence Mariste » n° 205, octobre 1995)

UNE MAISON D’ACCUEIL

Entre le vieux village et la route départementale, une grande maison jouxtant l’église abandonnée depuis le départ de son curé il y a une dizaine d’années. Depuis quinze ans, c’est "le gué " pour passer d’une rive à l’autre sans être assuré de la solidité du sol à chaque pas, pour prendre le risque de se mouiller, tenir l’autre par la main et s’aider soi-même, laisser naître et grandir en soi le goût d’une autre rive, d’une autre vie.

QUI EST ACCUEILLI ?

Simon vient d’arriver. Entrons avec lui. Attendu par le directeur et quelques responsables, il dépose son sac, donne ses papiers, son argent (un compte lui est ouvert), ses ordonnances et ses médicaments qu’il viendra prendre au moment favorable. Avant d’être admis, Simon avait écrit pour dire ses motivations, ses attentes, son projet :
« A dix-huit ans, j’ai commencé avec le shit, à vingt ans je suis passé aux drogues blanches. J’en ai vingt-six. J’ai fait plusieurs séjours en CHS, plusieurs stages de sevrage. J’en ai assez de cette galère et je voudrais pouvoir m’en sortir. Je vis chez mes parents. Je suis suivi médicalement. Je prends Tranxène, Nozinan, Rohypnol et Ariane. Cela fait dix-huit mois que je rentre et que je sors de l’hôpital. Je voudrais avoir une vie propre et faire des projets positifs ».

Les demandes comme celle de Simon sont de plus en plus nombreuses et toujours pressantes : 302 en 1990, 429 en 94, trois à quatre par jour en février 95… et il n’y a que douze places !
— « Vous êtes mon dernier recours, j’en ai marre de cette vie… »
— « Je suis marié, j’ai un garçon de deux ans et demi, ma femme ne me supporte plus ; elle a demandé le divorce… » :
— « Je suis actuellement en maison d’arrêt… ».

Sur 83 personnes accueillies en 1994,76 étaient toxicomanes : 57 à l’héroïne, 14 avec des médicaments, détournés de leur usage, 5 en polytoxicomanie. 1 sur 10 est séropositif.

LE REGLEMENT

A la suite de sa demande, Simon a reçu le règlement de la maison. Un règlement assez « carré » : pas de drogue, pas d’alcool, pas de violence, participation au travail (jardinage, floriculture, cuisine, entretien de la maison), activités sportives… Pas de sortie libre les trois premiers week-ends, pas de visite le premier mois.

Si l’on veut s’en sortir, il faut s’en donner les moyens.
Simon a répondu : « J’accepte de me soumettre à cette discipline, car je voudrais pouvoir travailler comme avant. Je voudrais rompre avec la vie que je mène. Je vous fais parvenir cette lettre écrite par mon père mais que je lui ai dictée car je n’ai pas bien le sens de l’écriture. Si je ne prenais pas mon médicament, je serais tenté de recommencer dans la drogue ».
Simon, élève chez les Frères, n’a pas dépassé le niveau de la sixième. Sur les 83 accueillis en 94, 41 n’avaient pas dépassé le primaire, 20 sont allés jusqu’en 4e, 5 ont commencé un cycle du secondaire, 6 ont réussi un BEP.

QUELS RESULTATS ?

La toxicomanie est le symbole d’un malaise profond, d’une immense souffrance lourde d’angoisse existentielle. La drogue permet d’échapper momentanément aux duretés de la vie et aux tensions du quotidien. C’est un leurre, elle gomme les problèmes, elle rend dépendant. Réapprendre à vivre sans produit demande un long travail de deuil, puis de renaissance. Une psychologue et les séances d’art-thérapie sont bien aidantes.

Dans la maison, on a coutume de dire : un tiers, un tiers, un tiers.

  • Un tiers rechute. C’est dur pour ceux qui les ont accompagnés. Tout n’est pas perdu. Un bon temps avec d’autres a été vécu. Il donne envie de revenir…
  • Un tiers continue en fleurtant avec les médicaments ou l’alcool.
  • Un tiers retrouve sa place dans la société :
    « J’ai trouvé la chaleur et l’amour… »
    « J’ai retrouvé la confiance en moi… »
    « Je suis marié depuis six mois avec une chouette nana ; j’ai une superbe fille de un mois. La naissance d’un bébé est la plus belle chose du monde, et croyez-moi, ça change un homme. Me voilà comblé et surtout responsable. Grâce au « Gué » , je connais le vrai bonheur, celui de la vie »
    (Franck).
    Simon a fait un bon séjour. Après trois mois, il est parti huit jours « en permission » selon la coutume, pour se tester. Quelques semaines plus tard, il a décidé de rentrer chez lui… à la recherche d’un travail ; il ne prend plus aucun médicament.

UNE ŒUVRE ORIGINALE

Depuis quinze ans, André Pernet, fondateur, prêtre camillien, assure avec une équipe la vie de cette œuvre originale dont la source plonge dans l’intuition de Camille de Leilis et s’actualise chaque jour dans l’Eucharistie du soir.
Il y a quelques années, un Frère Conseiller Général passant par là transmettait cette invitation : « Venez et voyez ». Pourquoi pas en cette période où l’on parle souvent de « pèlerinage de solidarité » ?

Frère Joseph CALLAERT

Pour une bonne information, lire : « Le Passeur du Gué : André Pernet » (J. Claude Lattes, 1995)

(Publié dans « Présence Mariste » n°205, octobre 1995)

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