Dieu de tendresse et Dieu de pitié

Dieu se fait connaître tel qu’Il est à quelques grands personnages de la Bible (Présence Mariste N° 273, octobre 2012)

« L’homme veut devenir Dieu (Gn 3, 5) et il doit le devenir. Mais chaque fois que, comme dans l’éternel dialogue avec le serpent du Paradis, il essaie d’y parvenir en s’affranchissant de la tutelle de Dieu et de sa création pour ne plus s’appuyer que sur soi-même et s’installer soi-même, chaque fois que, en un mot, il devient tout à fait adulte, tout à fait émancipé, et qu’il rejette totalement l’enfance comme état de vie, il débouche sur le néant parce qu’il s’oppose à sa propre vérité qui est dépendance. Ce n’est qu’en conservant ce qu’il y a de plus essentiel à l’enfance et à l’existence de fils, vécue d’abord par Jésus, qu’il entre avec le Fils dans la divinité. »

Le Dieu de Jésus Christ (Joseph Ratzinger) - Fayard 1977 (p. 72)

Ces lignes, sous la plume du futur Benoît XVI, nous amènent à considérer que la tutelle divine acceptée par l’homme dans un esprit d’enfance est la condition sine qua non de sa liberté réelle, de son bonheur. Encore convient-il d’approfondir la notion de tutelle et de voir dans l’esprit d’enfance autre chose qu’une disposition spirituelle conduisant à une mièvre et puérile soumission.

La Tutelle divine ?
Sans doute, plus ou moins consciemment, nombreux sont ceux qui ont à l’esprit la définition du mot « tutelle » telle que nous l’offre le Petit Larousse - Édition 2010, page 1042.
Tutelle : Dépendance gênante ; surveillance.

Abraham. Tableau de Di Giovanni (Lorenzo-Monaco)

On serait tenté de penser que cette définition fut concoctée par Adam et Ève, au Jardin d’Éden quand ils voulurent s’affranchir de la présence, à leurs yeux, trop prégnante de leur Créateur, un peu comme ces ados qui aspirent à la permission de minuit et n’hésitent pas à pousser des hauts cris quand les auteurs de leurs jours s’opposent à la chose. Mais, enivrés de leur jeune et fausse liberté, nos premiers parents sont très vite « partis dans le mur », découvrant la souffrance, la mort et moult turpitudes. Et dès lors, Dieu n’eut de cesse que de se réconcilier avec sa frondeuse créature.

Abraham, père d’une multitude
Tout le chapitre 17 de la Genèse nous narre les termes de l’alliance que Yahvé proposa à Abraham à qui il promit : « … tu deviendras le père d’une multitude », ce qui ne manqua pas, dès lors que l’élu de Dieu fêtait ses quatre-vingt-dix-neuf printemps sans avoir jamais été père, de plonger Sara, sa vieille épouse, dans des abîmes de perplexité. Elle ne put s’empêcher d’éclater de rire devant son extravagant avenir de parturiente. Et Dieu ne manqua pas de la tancer (Gn 17, 13-15).

Mais Yahvé dit à Abraham : « Pourquoi Sara a-t-elle ri ? »… Sara démentit : « Je n’ai pas ri ! », dit-elle, car elle eut peur, mais Yahvé répondit : « Si ! Tu as ri ! »
Femme de peu de foi !… et pas bien franche, de surcroît. Bon ! Passons. Mais la descendance d’Abraham, nonobstant la prévenance de Dieu, ne s’avéra pas plus souple que les générations précédentes et n’en fit qu’à sa tête. Et il ne faut pas s’y méprendre, si elle connut ces succès militaires qui émaillent les pages de l’Ancien Testament ce n’est pas pour sa fidélité au Seigneur mais par pure générosité de Sa part. Il suffit de relire le Deutéronome, 5, 5-6 pour s’en convaincre.

Moïse et le Buisson Ardent de Dieric Bout

« Ce n’est pas en raison de ta juste conduite ni de la droiture de ton cœur que tu entres en possession de leur pays, mais c’est en raison de leur perversité que Yahvé ton Dieu dépossède ces nations à ton profit ; et c’est aussi pour tenir la parole qu’il a jurée à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob. Sache aujourd’hui que ce n’est pas ta juste conduite qui te vaut de recevoir de Yahvé ton Dieu cet heureux pays pour domaine : car tu es un peuple à la nuque raide. »
À ce « peuple à la nuque raide », il convenait de donner des règles de conduite, simples, lapidaires, susceptibles de lui permettre de restaurer les liens distendus avec son Créateur.

Moïse et les Tables de la Loi
Yahvé, au service de la tutelle des hommes récalcitrants, mit donc au point ce décalogue qu’il proposa à Moïse sur le Mont Sinaï. (Ex 19, 20), dix pistes pour marcher vers le bonheur. Dieu une fois encore, affichait sa volonté farouche de faire alliance avec l’homme. Ex 34, 6-9 « Moïse invoqua le nom de Yahvé. Yahvé passa alors devant lui et cria : »Yahvé, Yahvé, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et fidélité, qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché mais ne laisse rien impuni et châtie la faute des pères sur les enfants et les petits-enfants, jusqu’à la troisième génération !" _ Aussitôt Moïse tomba à genoux sur le sol et se prosterna. Puis il prononça ces mots : « Si, vraiment, Seigneur, j’ai trouvé grâce à tes yeux, daigne mon Seigneur nous accompagner. Oui, c’est un peuple à la nuque raide, mais pardonne nos fautes et nos péchés, et fais de nous ton héritage. »

Un Dieu qui nous accompagne

Jésus, envoyé à l’humanité en péril
Moïse était, bien sûr, plein de bonne volonté, mais les siècles qui suivirent ne marquèrent pas pour autant une conversion sensible du « peuple à la nuque raide » toujours aussi désinvolte face aux exigences tutélaires de Yahvé. Alors le Dieu de tendresse et pitié envoya son propre Fils à cette humanité en péril.

En trois années de vie publique, Jésus offrit aux hommes la plus sublime catéchèse que l’on n’ait jamais faite, avant de donner sa vie pour ceux que le Père lui avait confiés. Faut-il en conclure pour autant que cette nouvelle alliance, scellée en Jésus, a rétabli des liens d’indéfectible amour entre Dieu et les hommes ? Le prétendre serait manifester un optimisme déplacé.

Dieu est Amour
Mais Dieu, depuis vingt siècles, continue à nous envoyer maints prophètes, qui nous rappellent, « à temps et à contretemps » que le Père n’est jamais las d’attendre le retour de l’enfant prodigue. Au Dieu de Justice de l’Ancien Testament, s’est progressivement substitué un Père "…avec la tendresse non pas d’un père seulement, mais aussi d’une mère…’’ (Cf. St Augustin, sermon 362).

Garder l’esprit d’enfance…

Alors l’esprit d’enfance qu’évoquait le Cardinal Ratzinger en 1977, cent ans après Thérèse de Lisieux, consiste peut-être simplement à accepter la « tutelle » de ce Dieu Père-Mère non pas comme une « dépendance gênante », une « surveillance tatillonne » mais comme la plus belle expression de Son Amour.

Michel CATHELAND
(Paru dans Présence Mariste N° 273, Octobre 2012)

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