Si on parlait de la prière ! (F. Gabriel MICHEL, 3/3)

Un autre aspect de la prière, la prière du contemplatif, ou de l’ermite , celle aussi du grand malade. (Article de fr Gabriel MICHEL dans « Présence Mariste » n°143, avril 1980)

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La vie contemplative

Le dernier article de cette série (Présence Mariste n° 141, 4e trimestre 1979) laissait entendre qu’il faudrait terminer sur un autre aspect de la prière, le moins facile à comprendre : la prière du contemplatif pur, ou de l’ermite (puisque cette vocation recommence), celle aussi du grand malade.

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AVEC MARIE ORANTE

Marie, au Cénacle, en est le modèle : une femme en prière, au milieu d’un groupe de chrétiens. Nous ne savons pas combien de temps elle est restée ensuite sur la terre, mais l’essentiel c’est qu’elle était l’orante par excellence et, sur terre ou au ciel, son rôle était le même : prier sans cesse.

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LE MYSTÈRE DU PLAN DE DIEU

Certains sont appelés à une vocation du même ordre. Le plan de Dieu en effet ne fonctionne pas comme nos plans quinquennaux, à base de financements, de constructions, etc.. Le plan de Dieu est un constant appel à la liberté de chacun et à sa conversion. Si un saint Paul quitte le royaume des ténèbres pour entrer dans celui de la vérité, cela transformera plus le monde que les décisions sociales ou militaires de Claude ou de Néron, les maîtres du monde de ce temps-là.

fr Gabriel MICHEL au cours d’une conférence

Qui a obtenu la conversion de Paul ? C’est le secret de Dieu. Mais si vraiment tout s’obtient par la prière, on comprend que certains veuillent y consacrer une vie entière. Plus d’une fois en effet, il faudra, comme dit un ermite américain, apprendre à être « patient avec Dieu », patient toute une vie, comme un Père Chanel (1).

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LES RÉUSSITES SANS AMOUR

Nous sommes obsédés par la réussite, mais Jean-Baptiste n’a pas réussi, Jésus n’a pas réussi. Et d’abord, qu’est-ce que c’est qu’une réussite humaine ? L’amélioration d’un niveau social par le marxisme, comme dans la Russie stalinienne, en y mettant le prix de dizaines de millions de cadavres ? L’amélioration sociale par le capitalisme, sans trop de bavures, comme en France, mais pour aboutir à une morosité croissante et à des masses de suicides ? Où est la vie simple, fraternelle, dans les pays où tout le monde doit se méfier de tout le monde ? et dans les pays où personne ne connaît personne dans un même immeuble ?

La lutte sociale peut apporter une certaine vie fraternelle. Mais quel sens a cette vie tant qu’on ne veut pas se découvrir fils du même Père ? Sans doute faut-il qu’il y en ait qui luttent pour que la fraternité ne soit pas un vain mot, il en faut d’autres — et c’est une nécessité aussi impérieuse — qui aient le rôle du cierge lumineux et silencieux, rappelant la présence du Tout Autre. Faute de ces cierges la foule humaine butera toujours avec désespoir devant l’absurdité de la mort.

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LA MORT LENTE : CHEMIN DE CONTEMPLATION

Les jeunes disent, paraît-il aujourd’hui : « La mort, c’est c… ». On veut bien, mais c’est surtout inéluctable. Alors, si Dieu nous a mis face à ce mur exaspérant de la mort, ce n’est pas la peine de nous y cogner la tête ou de dire des phrases bêtes. Le mur est là.
Un point c’est tout.

La mort, il y en a qui y entrent de façon foudroyante (l’accident par exemple), et d’autres par l’interminable durée d’une maladie qui les anéantit. Ceux-ci ne valent plus rien pour la lutte sociale ou pour une quelconque efficacité humaine ; pourtant une nouvelle vie peut commencer pour eux.

J’ai connu, il y a quelque dix ans un Frère Mariste qui semblait promu à une brillante carrière. Il achevait un doctorat, et, quelques mois plus tard, le voilà atteint d’une sclérose en plaques. Il s’enfonça dans une paralysie qui sera presque totale au bout de quatre ans. A la fin il restait parfaitement lucide, mais les organes de la voix ne fonctionnaient presque plus. Assez cependant, pour qu’il réponde un jour à la question qu’on lui posait :
« Que sera pour toi la vie éternelle ? »
par ces mots :
« Continuer à faire ce que je fais maintenant : contempler ».

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L’année passée mourait Frère Chômât

L’année passée mourait Frère Chômât qui, pendant 24 ans, avait été directeur de l’école primaire de Valbenoîte à Saint-Etienne. Son activité et son succès pédagogique avaient été prodigieux. Eh bien, le voilà qui, pendant cinq ans, va devenir physiquement une loque sous les coups successifs d’un cancer et d’une sclérose en plaques.

On a publié sa biographie (2) qui est en partie le journal de sa maladie. Les infirmités qui l’ont annihilé lui ont en effet laissé la possibilité d’écrire cinq ou six lignes par jour.

Cet hyperactif n’est pas entré facilement dans une vocation toute de passivité, mais il y est entré à fond, et il n’a pas eu l’impression que c’étaient des années perdues, tout au contraire. Il a senti qu’il devenait l’intercesseur :
« Je suis responsable de tous ceux dont j’ai la charge : maîtres et maîtresses, élèves et parents… comme aussi de ceux et celles qui m’ont prodigué leurs soins : médecins et infirmières ».

Un certain jour, il se propose l’idéal de « paraître heureux », mais tout de suite il corrige : « Non. Etre heureux ».

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L’ÉTAT DE RADIOTHÉRAPIE SPIRITUELLE

Lui qui a connu maintes séance de rayons X, il se met à penser que la prière contemplative c’est une radiothérapie spirituelle :
« Je restais dix minutes strictement immobile sous un faisceau de rayons dirigé sur un point déterminé par le docteur. On ne voit rien, on ne ressent rien (pas même la moindre sensation de chaleur). Après quelques séances, la peau éclate, brûlée comme par un fort coup de soleil… Le malade est devenu radio-actif ».

« Par similitude j’ai pensé radiothérapie spirituelle. N’est-ce pas un tel phénomène, mais spirituel, qui se réalise par Marie lors de la Visitation ? N’est-ce pas en cela que consiste le véritable apostolat ? Certes toute rencontre avec le Seigneur a des effets radio-thérapiques, mais plus spécialement la communion, la messe et surtout peut-être la visite à Jésus-Christ-Hostie. Dans ce cas, après avoir pris conscience de la réalité de la présence de Jésus ressuscité, Dieu parmi nous par la Vierge Marie, m’exposer au rayonnement de la présence et de l’amour du Seigneur et rester le corps immobile et l’esprit totalement passif ».

« Cette pratique doit détruire tout ce qui déplaît au Seigneur et particulièrement toute métastase d’orgueil, d’égoïsme, de sensualité ; développer ce que le Seigneur désire voir en moi, et particulièrement la charité fraternelle ; me donner le rayonnement de Marie à la Visitation. »

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LA VOCATION CONTEMPLATIVE DU BIEN PORTANT

Ainsi le grand malade peut-il entrer dans une vocation contemplative, en acceptant un état de mort, ou du moins jugé tel par l’entourage. D’autres vont choisir, en pleine santé, cet état de mort de la Trappe, de la Chartreuse, du Carmel, etc, simplement parce qu’ils y sont appelés. Et l’intensité de leur vie et de leur joie étonnera plus d’une fois ceux qui iront les voir.

Fr Chomat

On est évidemment là au plus haut niveau de la prière, un niveau qui paraît pure folie et absurdité, hors de la foi. La mort des cimetières, la mort d’une maladie anihilante, la mort de la vocation contemplative, on en a peur, on la fuit. Et pourtant Frère Chômât s’était libéré de ce tabou. Après expérience, il pouvait dire quelques mois avant sa mort :
« Mes quatre ans et demi d’inaction valent bien mes trente-cinq ans d’activisme ».

Faut-il traiter de fou un homme parfaitement lucide ? ou bien mentait-il pour faire plaisir aux vivants ? Non, il avait simplement découvert un paysage au-delà de notre horizon.
Tout récemment, un prêtre orthodoxe, enfin libéré de la plus sinistre prison après de longues années, disait son bonheur, non pas d’être libéré, mais d’avoir pu réaliser pendant sa détention ce qu’on appelle la Prière de Jésus, c’est-à-dire la prière ininterrompue (3).

Evidemment cela n’a rien à voir avec l’expérience courante, même celle de l’homme religieux. Dans toutes les autres vocations il y a une partie qui se comprend humainement : on exerce une activité charitable, on soigne des malades, on fait la classe ou la catéchèse. Mais dans la vie du pur contemplatif, tout entière axée sur Dieu, il y a une place absolument totale donnée à l’ABSOLU, et saint Benoît, dont on fait cette année le 15e centenaire, était peut-être un prophète pour notre temps, en fondant la vie monastique la plus connue.

Dans les siècles antérieurs au nôtre, on a pu en effet, contester cette vie, en disant que les moines étaient des oisifs. Maintenant les pays industrialisés contraignent à l’oisiveté des millions d’hommes et de femmes du 3e ou du 4e âge pendant vingt ou trente ans. Dieu me garde de le leur reprocher, mais c’est un fait.
Très réellement pour qui le voudrait les gens de la Vie Montante d’aujourd’hui pourraient jouir de conditions matérielles parfois plus favorables que des moines ou des moniales pour mener une vie totalement vouée à la contemplation (4). Les excuses d’autrefois ne tiennent plus aujourd’hui. Alors, ne pouvant plus accuser les autres, il faut peut-être s’accuser soi-même et dire humblement :
« Seigneur, j’ai peur de me laisser consumer par toi. Fais-moi donc comprendre qui tu es et qu’en mon cœur l’Esprit murmure le doux nom de Père. Et quand je sentirai que tu es Père, tu pourras bien m’emmener par les sentiers que tu voudras, de l’action au service de mes frères ou de longs silences "en pure perte de moi-même" devant toi. »

G. MICHEL.

(1) II n’a pratiquement fait aucune conversion pendant sa vie, mais son île de Futuna est devenue ensuite totalement chrétienne.

(2) On peut la trouver à Notre-Dame de l’Hermitage, B.P. 9, 42405 St-Chamond. Prix : 25,00 F.

(3) Elle consiste à dire indéfiniment, sur le rythme de la respiration : « Jésus, Seigneur, aie pitié de moi, pécheur ».

(4) Car un moine ou une moniale consacre quand même bien 40 heures par semaine au travail manuel ou intellectuel.

(Publié dans « Présence Mariste » n°143, avril 1980)

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