Présence Mariste en Rhodésie

Ce sont des Frères canadiens d’Iberville qui ont ouvert une mission en 1938. (« Présence Mariste » n°141, octobre 1979)

1. L’ACTUALITÉ

La Rhodésie :
ce mot évoque sans doute pour vous racisme, avec un nom propre : lan Smith, et quelques chiffres : 250 000 blancs qui ont tous les droits face à 6 millions de noirs qui n’en n’ont aucun. Cela fait partie des simplifications avec lesquelles il faut bien compter pour faire du journalisme percutant.

La réaction ?
Que faire d’autre que de s’indigner, de dire : « c’est pas croyable » ou « moi je suis pas raciste », et même d’en être persuadé ? A vrai dire pourtant, le Blanc très riche et très méchant n’est pas plus véridique que le Noir gentil-gentil, lan Smith ne sera peut-être jamais au catalogue des saints, mais il n’est peut-être pas non plus le fils du diable.
L’évêque méthodiste : Abel Muzorewa, grand vainqueur des élections d’avril 1979, n’est pas tout uniment un « béni-oui-oui » des blancs, mais peut-être aussi un sage qui essaie de tarir le fleuve de sang qui a déjà assez coulé.

2. UN PEU D’HISTOIRE

Les élections d’avril n’ont sans doute pas été parfaites — dans quel pays d’Afrique le sont-elles ! — mais elles ont quand même montré une chose. En dépit d’une guérilla puissante et souvent féroce, la population a pu s’exprimer et se donner un parlement qui peut au moins commencer une certaine démocratisation.
Sur 100 députés, 28 sont des blancs, 51 des noirs du parti Muzorewa, 12 des noirs du parti du pasteur Sithole, 9 des noirs du parti du chef Ndiweni.

Institutrice de Dett, qui a reçu de nombreuses balles mais qui en est réchappée miraculeusement …

Ces élections prouvent que les Shona (groupement d’ethnies unies par une langue commune) veulent la paix. Ils sont les trois quarts de la population, mais depuis 60 ans ils sont terrorisés par l’autre groupe ethnique les Ndebele qui ont toute une tradition de violence et de guerre. Alors, à tout prendre les Shona savent qu’ils ont plus à perdre en retournant sous la coupe des Ndebele qu’en étant sous la coupe des blancs, dont d’ailleurs ils envisagent de se dégager progressivement.

Déjà le pays commence à s’appeler Zimbabwe au lieu de Rhodésie.

Le fait d’avoir pu affirmer cela par un vote relativement libre peut contribuer à leur permettre un peu plus de tranquillité pour envisager l’avenir. Evidemment la guérilla qui groupe hors des frontières 20 000 hommes puissamment armés par la Russie, ne va pas s’arrêter pour autant, mais elle ne pourra plus aussi facilement faire une propagande largement aussi mensongère que celle qu’elle reproche au gouvernement.

3. LE TRAVAIL DES FRÈRES

a) Hier

Les catholiques (10 % de la population) ont fêté cette année le centenaire de leur première mission, centenaire marqué par la discrétion, car la tension est telle — entre le marteau de la guérilla et l’enclume du gouvernement — qu’on n’a guère le cœur aux festivités.

Les Frères Maristes, eux, sont là depuis 40 ans. Ce sont des Canadiens d’Iberville qui ont ouvert une mission en 1938, avec une école primaire (5 années) et une école normale. A cette époque, les études secondaires n’étaient pas encore ouvertes aux Africains.

Dès 1940, les élèves noirs pouvaient faire huit années de primaire, puis en 1945, on ouvrait une première classe secondaire à Kutama (Centre-Est). En 1950, les premiers élèves noirs de Rhodésie passaient leur « matriculation » (examen à la fin de huit ans de primaire + quatre de secondaire, soit plus ou moins l’équivalent du baccalauréat).

Parallèlement au secondaire, la formation des futurs instituteurs se développait avec quatre classes d’école normale. Pour égaliser les chances et les conditions sociales, tous les élèves étaient pensionnaires. C’est là une solution assez fréquente en Afrique, faute de quoi il faut compter avec d’interminables marches à pied, et une malnutrition qui annihilent les possibilités d’études.

Jusqu’en 1950, il n’y avait toujours qu’une école, mais depuis, voici les développements qui ont eu lieu :

  • Que Que : école située au centre du pays.
  • Inyanga : école située à l’est, à la frontière du Mozambique.
  • Kabwe : école située à l’ouest. Les Frères maristes canadiens ont ensuite passé cette école à des Frères Maristes espagnols, et eux sont allés fonder :
  • Dett : dans la région la moins développée du pays.

En 1978, ces quatre pensionnats donnaient l’enseignement à 1.600 étudiants, garçons et filles.

b) Aujourd’hui

L’éducation des Noirs de Rhodésie a probablement été le secteur qui a la plus souffert de la guerre civile, et celle-ci fait rage depuis sept ans. Plus de 1.000 écoles sont fermées et plus de 250.000 élèves privés d’instruction. Dans la plupart des cas, ce sont les terroristes qui les ont fermées ou brûlées ou démolies.

A Dett, le 13 juin, vers 18 h., les terroristes arrivent :
« A partir de ce moment, cette école est fermée, proclame le chef. Nous ne voulons pas répandre le sang ; mais si vous restez à l’école, nous la ferons sauter. » (II faut remercier le Seigneur de cette modération des guérilleros, car les cas n’ont pas manqué où quelque employé du gouvernement était accusé de Dieu sait quoi et assommé à coups de bâtons, devant l’école)

Qu’allions-nous faire de nos 330 pensionnaires ?
Il fallait au moins dépanner les quelque 100 élèves en cours d’examen — des éducateurs se posent simplement les questions à ce petit niveau, très méprisable pour un bon marxiste. Notre école de Que Que a accepté de prendre l’effectif de trois classes, et les élèves de Dett sont partis pour Que Que, sous la protection de l’armée régulière, avec tout le nécessaire pour les héberger et les instruire : lits, matelas, tables, bureaux, matériel d’enseignement. A 560 kilomètres.

Deux Frères sont restés à Dett qui est devenu lieu d’accueil et de prière ; ces deux Frères donnent aussi quelques leçons particulières.

A Ynyanga, l’école fonctionne toujours, mais sous la direction d’un ancien élève. A Kutama, c’est la même chose. C’est un noir qui a la direction, et cinq Frères y assurent des cours. Il faut vivre dans un climat de grèves, d’incursions des guérilleros, de présence des forces de l’ordre.

A Que Que, il reste neuf Frères, plusieurs déjà très âgés. La vie y est dangereuse aussi, car l’école est à 16 km de la ville, donc en zone pas trop bien protégée. Aux grandes vacances, les Frères, avec des religieuses et des volontaires organisent un « camp mariste » pour les enfants des familles les plus pauvres. Malgré la guérilla, il n’a pas cessé de fonctionner.

4. EN CONCLUSION

II est bien certain que la seule réponse à la violence de notre temps sera de plus en plus la non-violence qui prend sa source dans les Béatitudes et la Passion du Christ. Mais si déjà la violence des guérilleros cesse d’apparaître automatiquement comme sainte, et si elle est simplement prise pour ce qu’elle est, au même titre d’ailleurs que celle du gouvernement, c’est déjà un pas vers la vérité.

En tout cas, cela permet de comprendre à quel point la vie des Frères est pénible dans de telles conditions. Ils sont partis pour aider un pays en développement. Ils essaient même d’aider exclusivement les noirs. Mais, en période de guerre civile, personne ne connaît plus personne, les réflexes sont conditionnés par la peur. C’est le moment de la croix, et rien de grand ne se fait que par la croix.

Il y a un moment où un apôtre agit, annonce l’évangile, fait du travail, est efficace. Il y a un autre moment où la maladie, l’accident lui imposent un arrêt non voulu, irritant. Le grain tombe terre. Pour les groupes, c’est aussi la même chose. Pendant tout un temps on construit, on développe. Soudain tout doit s’arrêter. Temps perdu ? Sûrement pas. Réduits à l’inactivité quelques Frères de Rhodésie ont trouvé que, pour eux, le temps était venu de prier. Oh ! ils avaient toujours prié. Mais désormais, il s’agit d’une prière intense, prolongée, gagnant de proche en proche, et donnant cette forme interne qui permet de se hisser jusqu’au sommet de ce seuil escarpé qu’il faut bien franchir, et au-delà duquel se découvrira un nouvel horizon.

De notre envoyé spécial

(Publié dans « Présence Mariste » n°141, octobre 1979)

P.S. Depuis le 10 septembre, les journaux parlent de la « Conférence de Londres » qui a réuni les frères ennemis pour une discussion sérieuse. Au moment de mettre sous presse, on peut donc remercier le Seigneur pour ce rapprochement non négligeable, en espérant qu’il soit durable…

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